Napoléon
de Preititz, il avait simplement forcé les Prussiens à reculer – alors que le maréchal Vorwärts avait juré de ne pas se replier. Cependant, ainsi que le dira Jomini : « Si Ney eût exécuté l’ordre parfait que Napoléon avait donné à huit heures du matin, c’en était fait de la majeure partie de l’armée ennemie... Le salut de l’Empire dépendit ainsi d’un moment de faiblesse du plus vaillant de ses généraux. »
Sans être décisive, Bautzen n’en est pas moins une nouvelle victoire.
On essaye de poursuivre les troupes alliées en retraite vers l’Oder, cependant l’absence de cavalerie empêche toujours de tailler l’ennemi en pièces. Sans doute, le lendemain, l’infanterie talonne-t-elle Prussiens et Russes, mais les fantassins s’essoufflent à remplir ce rôle, pour lequel ils ne sont point faits, et on entend les soldats murmurer :
— Quand cela finira-t-il ? Où l’Empereur s’arrêtera-t-il ? Il faut faire la paix à tout prix !
L’artillerie de l’arrière-garde ennemie tente de protéger la retraite de Blücher. Un boulet prussien fauche trois cavaliers de l’état-major impérial.
— Duroc, déclare Napoléon, la fortune nous en veut aujourd’hui.
Quelques minutes plus tard, près du village de Mackersdorf, un boulet – il a été tiré par une batterie russe située à deux kilomètres de là – déchire le ventre du cher Duroc. Le grand maréchal du Palais n’a plus que quelques heures à vivre. L’Empereur fait aussitôt arrêter la Garde. Les tentes du quartier impérial sont dressées dans un champ à droite de la route. Le blessé a été enlevé du tertre où il avait été frappé et on l’a transporté dans la maison d’un paysan de Mackersdorf. À la nuit, l’Empereur entre dans la pièce. Le duc de Frioul s’évanouit, puis revient à lui pour porter la main de Napoléon à ses lèvres :
— Toute ma vie, soupire le mourant, a été consacrée à votre service, et je ne la regrette que par l’utilité dont elle pouvait vous être encore.
Le Bulletin précise que l’Empereur aurait alors répondu :
— Duroc, il est une autre vie ! C’est là que vous irez m’attendre, et que nous nous retrouverons un jour.
Durant un long quart d’heure, on n’entend que le râle du blessé. L’Empereur tient la main de Duroc. Ses yeux sont embués de larmes.
— Ah ! Sire, murmure encore le grand-maréchal, allez-vous-en, ce spectacle vous peine !
L’Empereur, appuyé au bras de Caulaincourt, quitte la maison et va se réfugier dans le carré de la Garde. Il y passe le reste de la soirée, assis sur un tabouret devant sa tente, les mains jointes, la tête baissée. « Nous étions tous là autour de lui sans bouger, racontera Coignet ; il gardait le plus morne silence. »
On peut toujours voir aujourd’hui, au coeur de Mackersdorf, une grande pierre carrée élevée à la mémoire de l’ami de l’Empereur. Un nom, une croix, une date : Duroc 1813. Son corps dort aux Invalides, non loin de Napoléon.
Les Alliés, sans munitions, reculent avec précipitation, battant toujours en retraite. Glogau est bientôt évacué et l’armée napoléonienne atteint l’Oder. Il n’a pas fallu un mois à Napoléon pour faire rétrograder l’ennemi pendant trois cent cinquante kilomètres !
Metternich écrira plus tard dans ses Mémoires : « Il s’agissait d’arrêter ce Napoléon dans sa marche. » Aussi Russes et Prussiens demandent-ils à l’Empereur ses conditions de paix – démarche que Napoléon accueillera avec froideur. Devine-t-il que cette trêve ne sera qu’un « rideau », selon la si juste expression d’Albert Sorel, derrière lequel la meute pourra posément se reformer, se réunir aux forces autrichiennes et suédoises pour foncer une fois de plus sur l’homme à abattre ? Dès le 10 mai Hardenberg avait écrit : « La guerre entre l’Autriche et la France doit éclater sur le refus que Bonaparte donnera sans aucun doute aux propositions que la Russie, la Prusse et l’Autriche lui feront conjointement. »
En dépit de sa victoire – sa dernière véritable victoire –, Napoléon est angoissé. Lui a-t-on répété ces mots prononcés par Duroc avant de mourir :
— Nous y passerons tous !
Il voit autour de lui les maréchaux las, et incapables d’initiative. Il sait aussi que poursuivre la guerre sans renforcer sa cavalerie serait une folie. Alors, il accepte l’armistice en se rendant
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