Napoléon
fille. Il est avant tout un souverain et n’hésitera pas à sacrifier sa famille pour le bien de son empire !
Il y a un lourd silence. Napoléon répond d’une voix sourde :
— Ce que vous avez dit ne me surprend point et ne fait que me montrer l’immensité de ma faute. Quant j’ai épousé l’archiduchesse d’Autriche, je pensais pouvoir vivifier le passé en l’unifiant aux temps nouveaux, les préjugés des anciens Goths aux lumières du siècle actuel. Je me suis trompé et aujourd’hui je comprends combien mon erreur a été grande. Elle peut me coûter mon trône, mais j’engloutirai le monde sous les ruines !
La scène s’achève. Napoléon reconduit le ministre vers la porte. Là, il s’arrête, lui posant la main sur l’épaule :
— Vraiment, vous ne me referez pas la guerre, n’est-ce pas ?
Metternich regarde l’Empereur « avec hauteur » – lui qui a toujours été si obséquieux avec lui ! De ses lèvres minces, il laisse enfin tomber ces mots :
— Vous êtes perdu, Sire ! Je m’en doutais en venant ici, maintenant je le sais !
En sortant, Metternich écrira à son ami Hudelist :
« C’en est fini de Bonaparte. »
Au lendemain de la terrible scène, l’Empereur se contente d’écrire à Marie-Louise : « J’ai causé bien longtemps avec Metternich, cela m’a fatigué. »
On l’eût été à moins...
Cependant Metternich qui, dans ses Mémoires, s’est peint pour la postérité en prophète sûr de lui, était dans la réalité infiniment moins tranquille. « Je ferai ce que je pourrai pour sauver ce monde, écrit-il le 17 juillet à sa maîtresse Wilhelmine de Sagan, dans la correspondance qui, on le sait, vient d’être découverte. L’entreprise n’est pas facile et s’en trouver chargé n’est pas heureux. » Sans doute – et il ne l’ignore point –, l’Empereur ne peut que refuser les conditions posées par les Alliés. L’Autriche, selon les accords passés avec le tsar et la Prusse, devra alors déclarer la guerre à Napoléon. Mais l’armée autrichienne ne risquait-elle pas de se faire battre ? Se trouvait-elle véritablement prête à affronter Napoléon ? « La prolongation de l’armistice nous servira-t-elle ? demanda-t-il à Schwarzenberg. Quel serait le dernier terme possible ? » Schwarzenberg, le 20 juillet, demande vingt jours : le 10 août il sera prêt à passer à l’attaque. Peut-être pourrait-on amuser le tapis par un Congrès ? Et Metternich s’offrit le luxe de proposer à l’Empereur de repousser la trêve jusqu’au 10 août.
« Les journées se passent, écrit encore Metternich le 25 juillet ; bientôt il n’y en aura plus qui pourront passer, la bombe éclatera... Vous me tiendrez le secret pour la confidence », ajoute-t-il à l’intention de sa chère et tendre duchesse. Certains – « des fous, des sots, des imbéciles, des enthousiastes » – voudraient voir commencer les hostilités le plus tôt possible. « Je n’ai pas donné dans le piège, explique le ministre, j’ai tout préparé »...
Décidément, en dépit de la victoire de Bautzen, c’est bien pour Napoléon le commencement de la fin ! Il apprend qu’à la suite de la défaite de Vitoria, l’Espagne est définitivement perdue. « Les malheurs d’Espagne sont d’autant plus grands, écrit-il à Savary, qu’ils sont ridicules. » Une aventure, en effet, qui pourrait faire rire si elle n’avait pas été aussi sanglante et aussi tragique. D’ailleurs, dans cette même lettre l’Empereur le reconnaît : « En dernière analyse, je ne dissimule pas que c’est ma faute. Si, comme j’en avais eu l’idée, à mon départ de Paris, j’avais envoyé le duc de Dalmatie à Valladolid pour prendre le commandement, cela ne serait pas arrivé ! »
La « complaisance mal entendue » – l’expression est encore de lui – qu’il a eue pour l’incapable Joseph se trouve être la cause même de la catastrophe. En annonçant à Marie-Louise la prochaine arrivée de Joseph à Mortefontaine, il lui recommande « d’ignorer » l’ex-roi : « Je ne veux pas qu’il se mêle du gouvernement et qu’il y ait des intrigues à Paris. » Dans cette même lettre, il annonce à sa femme l’ouverture d’un congrès qui aura lieu à Prague : « Nous verrons ce qu’il fera s’ils veulent me prescrire des conditions honteuses, je leur ferai la guerre. L’Autriche payera le tout. J’en serais fâché par la
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