Napoléon
avait autant de monde et de foudre enveloppés dans ce petit espace. »
Après un léger repas, l’Empereur s’adresse à ses officiers :
— Maintenant, messieurs, allons commencer une grande journée !
Le brouillard vient seconder ses vues et dégage le sommet du plateau, tandis que la purée de pois continue à dissimuler aux yeux de l’ennemi les mouvements et l’emplacement des troupes françaiseséchelonnées dans la plaine, au bas de la colline et qui vont se tapir dans la ravine. Vers 7 h 30, Napoléon appelle au tertre de Zuran les chefs des corps d’armée, afin de leur donner ses dernières instructions et les modifications conçues à la suite de son inspection nocturne. Tous écoutent, formant autour de l’Empereur un cercle redoutable. « Il me semble les voir encore recevoir successivement son inspiration, racontera Ségur, et aussitôt, comme s’ils eussent emporté la foudre, s’élancer de toutes parts pour en aller briser les forces réunies des deux empires ! Ma vie aurait la durée de celle du monde que jamais l’impression d’un tel spectacle ne s’effacerait de ma mémoire. »
Le maréchal Davout reçoit l’ordre d’arrêter tant bien que mal, à l’extrême droite, la violente progression de l’ennemi. Les Autrichiens de Kienmayer dépassent Aujzd, et les Russes de Buxhovden s’emparent de Telnitz et franchissent la Goldbach. Bientôt même, Langeron occupera Sokolnitz et son château avec douze bataillons russes. On les délogera, provisoirement, et tout sera à recommencer ! De ce côté, durant la plus grande partie de la matinée, le combat sera dur, âpre, héroïque. L’empereur Alexandre s’étonnera de voir les choses ne pas avancer plus vite.
— Mikhaïl Ilarionovitch, dit-il à Koutousov, étrangement passif ce jour-là, pourquoi n’avancez-vous pas ?
— Sire, répondit-il, j’attends que toutes les troupes de la colonne soient réunies.
— Mais, réplique Alexandre, nous ne sommes pas sur le Champ de Mars où l’on attend toutes les troupes pour commencer la parade.
— Sire, dit Koutousov, c’est justement parce que nous ne sommes pas sur le Champ de Mars que je ne commence pas l’offensive. D’ailleurs, ordonnez... avec l’aide de Dieu.
Les dragons descendent vers la fournaise, mais se heurtent aux troupes de Friant et d’Heudelet.
Pendant ce temps, à gauche du champ de bataille, se prépare un duel entre la cavalerie de Murat, l’infanterie de Lannes et, en face d’eux, les régiments du prince Bagration. La Garde impériale française se trouve à la droite de Napoléon, tandis que la Garde impériale russe – corps réputé invincible – massée derrière les empereurs François et Alexandre, attend l’ordre d’intervenir et semble protéger Austerlitz où les deux souverains ont passé les dernières nuits.
Soult, demeuré le dernier près de l’Empereur, paraît impatient et veut s’élancer à l’assaut du plateau de Pratzen. Napoléon le retient... Il est 8 heures du matin. Le brouillard, enfin, se dissipe. Le soleil d’Austerlitz se lève pur et radieux sur l’horizon de la Moravie. Une légère vapeur adoucit les lointains et l’Empereur peut voir les quatre-vingt-dix mille baïonnettes de Koutousov luire au soleil, et former un gigantesque croissant dont les deux pointes continuent à s’avancer vers l’armée française, tandis que le centre, sur le plateau de Pratzen, ne cesse de se dégarnir.
Vingt-cinq mille bonnets à poil – « et des gaillards », précise Coignet – l’arme au bras, sont descendus vers les bas-fonds et sont prêts à franchir le ruisseau.
Soult piaffe.
— Combien vous faut-il de temps pour couronner ce sommet ? lui demande Napoléon.
— Dix minutes.
— Partez donc, mais vous attendrez encore un quart d’heure et alors il sera temps !
Un quart d’heure plus tard, les divisions Vandamme et Saint-Hilaire, prenant chacune comme objectif les deux mamelons du plateau, commencent à gravir les pentes. Le givre craque sous leurs bottes.
« Nos bataillons montent cette côte l’arme au bras, nous raconte Coignet et, arrivés à distance, ils souhaitent le bonjour à la première ligne par des feux de bataillon, puis la baïonnette croisée sur la première ligne des Russes, en battant la charge. » Les musiques, placées au centre de chaque bataillon jouent :
On va leur percer le flanc.
Que nous allons rire !
Les tambours répètent :
Rantanplan, tirelire
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