Napoléon
mère pour quelques jours dans l’une de ses résidences occasionnelles : la modeste petite maison située à la sortie du bourg de Marciana-Alta, appartenant au sieur Cerbona Vadi, adjoint au maire. C’est aujourd’hui une humble trattoria, dont les fenêtres ont une vue magnifique sur Marciana Marina et le golfe de Procchio. En s’y rendant, le 21 août, afin de précéder Mme Letizia, Napoléon s’était arrêté à la sortie du village de Poggio – à mi-chemin entre le port de Marciana et le bourg de Marciana-Alta. Là, dans un repli de terrain, coule une fontaine d’eau pétillante. Il en avait bu et s’en était trouvé si bien qu’il avait commandé d’en remplir plusieurs barriques pour ses différents « palais » {37} .
Ce déplacement, cette invitation lancée à sa mère pour qu’elle vienne le rejoindre, dissimule un véritable petit complot : l’Empereur cherche un endroit discret où il pourra cacher sa proche rencontre avec Marie Walewska. Son « épouse polonaise » se prépare, en effet, à quitter Florence pour Naples, afin d’aller prier Murat de veiller sur le majorat de son fils. De là, si l’Empereur le désire, elle pourrait s’embarquer pour l’île d’Elbe. Le colonel Laczinski – le frère de Marie – envoyé en ambassadeur à Porto-Ferrajo revient bientôt porteur de la réponse de Napoléon :
« Marie, j’ai reçu votre lettre, j’ai parlé à votre frère. Allez à Naples arranger vos affaires ; en allant ou en revenant, je vous verrai avec l’intérêt que vous m’avez toujours inspiré, et le petit dont on me dit tant de bien que j’en ai une véritable joie et me fais fort de l’embrasser. Adieu, Marie, cent tendres choses. Napoléon. »
On prend le soin cependant de prévenir la comtesse Walewska qu’elle devra s’entourer de toute la discrétion possible pour débarquer à isola Elba. Il fallait éviter soigneusement que le bruit de l’escapade de Mme Walewska ne parvienne aux oreilles de l’impératrice Marie-Louise ! N’attendait-on pas d’un jour à l’autre à l’île d’Elbe l’arrivée de l’épouse légitime et celle du roi de Rome ? Voici pourquoi l’Empereur était parti pour Marciana-Alta. Est-ce là qu’il aura la joie, à défaut du petit roi, d’embrasser le jeune Alexandre ?
La maison située tout au bout du village, sur le chemin de Zanca, ne lui paraît point encore assez à l’abri des vues. C’est pour cette raison qu’on le voit, ce même 21 août, quitter Marciana, suivre la via del Fosso, puis l’actuelle place de la Vittoria et gravir à pied, ou à dos de mulet – on ne sait... – les durs degrés pavés, hérissés plutôt de pierres, qui, en une quarantaine de minutes, permettent de gagner le lieu du pèlerinage le plus ancien de l’île : la Madona del Monte, à six cent vingt-sept mètres d’altitude. Ce jour-là, il n’est point vêtu de son célèbreuniforme, mais du costume de garde national elbois – habit bleu à revers blancs.
À sa gauche, montant à l’assaut de la haute masse aride du mont Giove – le mont Jupiter – il voit des châtaigniers et des petits acacias qui laissent très vite la place à des pins rabougris et à des lentisques. À sa droite, des vignes dévalent vers la mer, dont le rivage est à une demi-lieue à vol d’oiseau. Quatorze reposoirs jalonnent ce chemin de croix. Bientôt il n’y a même plus un arbrisseau : rien que des ajoncs et des buissons de romarins, de thym et de menthe qui poussent entre les pierres couvertes de lichens.
Derrière l’Empereur, viennent quelques hommes ; ses deux valets de chambre : Marchand – la fidélité faite homme – et le pseudo-mamelouk Ali, qui se nomme en réalité Saint-Denis et est né à Versailles. Peinant également sous le soleil, dans son uniforme bleu ciel à aiguillettes d’argent, vient l’officier d’ordonnance Bernotti, engagé à l’île d’Elbe, puis le capitaine Paoli, un Corse qui commande la gendarmerie de l’île. Il se sent pataud dans son rôle, si nouveau pour lui, d’homme de cour :
— Quelle heure est-il, Paoli ? lui avait demandé l’Empereur.
Il avait répondu :
— L’heure qui plaît le mieux à Votre Majesté.
Il y a encore le capitaine Mellini, un Elbois qui, avant d’accourir près de l’exilé, gardait la pyramide élevée à Marengo.
Que l’Empereur est tombé bas ! Entouré par des Paoli, des Bernotti, des Mellini, au lieu des Talleyrand, des
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