Napoléon
il ne peut recevoir ouvertement une femme pour laquelle il n’éprouve plus que des sentiments d’affectueuse tendresse.
Le jeudi premier septembre, de la terrasse de la maison de Cerbona Vadi, il voit approcher le voilier qui porte Marie, son frère, sa soeur et le petit Alexandre. Le brick jette l’ancre à neuf heures du soir devant le hameau de San Giovanni, au fond du golfe, juste en face de Porto-Ferrajo dont les lumières scintillent dans la nuit. Le grand maréchal Bertrand et le capitaine Bernotti sont là, avec une voiture attelée de quatre chevaux. On part au grand trot. Soudain, près de Marciana-Marina, l’équipage s’arrête. Trois cavaliers attendent avec des torches :
— L’Empereur !
Le roi de l’île d’Elbe baise les mains de Marie et embrasse Alexandre, puis l’on repart. À Marciana Alta, sans s’arrêter chez Madame Mère, on poursuit l’ascension à pied. Tantôt Napoléon, tantôt l’un des officiers porte le petit Alexandre dans ses bras, et il est une heure du matin lorsqu’on arrive à l’Ermitage. Un souper les attend... un souper au cours duquel on entend le petit Alexandre déclarer :
— Laisse-moi manger, papa empereur !
Marie reproche à son amant de l’avoir oubliée à Fontainebleau, dans son antichambre...
— J’avais tant de choses là, s’excuse-t-il en passant la main sur son front.
Deux chambres de moines ont été aménagées dans l’Ermitage pour Marie et sa soeur. Napoléon leur laisse ces deux petites cellules monacales et va passer la nuit sous une tente montée en contrebas du Romitorio, sous les châtaigniers. Il vient à peine de s’y retirer lorsque, vers deux heures et demie du matin, un violent coup de tonnerre éclate. Napoléon se lève prestement et, en robe de chambre, va rejoindre Marie. Sait-il que sa belle Polonaise a peur de l’orage ? Et veut-il la rassurer ?...
Le matin, Marie admire l’extraordinaire paysage, ce bois de châtaigniers et ces éboulis de rochers qui descendent vers la mer, cet horizon s’étendant de l’île de Capraja au continent. Peut-être aussi Napoléon l’a-t-il entraînée au-dessus même de l’Ermitage, vers le sommet du mont Giove d’où l’on voit presque tout son royaume. L’horizon, vers la haute mer, est borné par l’île de la Pianosa – l’île plate la bien-nommée – située à treize kilomètres, et qu’il est allé occuper alors que le traité de Fontainebleau ne l’autorisait point à le faire. Mainmise qui avait agité les chancelleries, autant qu’autrefois l’occupation par « l’Ogre corse » de quelque royaume {38} ...
Cependant, à Porto-Ferrajo, la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre de l’arrivée auprès de l’Empereur d’une dame blonde, accompagnée d’un petit garçon tout aussi blond, et personne ne doute plus que l’Impératrice soit enfin venue rejoindre son époux à l’île d’Elbe ! Le médecin de l’Empereur – le docteur Foureau de Beauregard – revêt son plus bel habit, monte à cheval et galope vers Marciana Alta. Puis il grimpe jusqu’à la Madona-del-Monte. La première personne qu’il aperçoit sous les châtaigniers est Napoléon, assis sur une chaise devant sa tente et tenant sur ses genoux le petit Alexandre avec qui il semble avoir une conversation fort animée.
— Eh bien ! Foureau, s’exclame l’Empereur en apercevant son médecin qui s’avance vers lui, comment le trouvez-vous ?
— Mais, Sire, je trouve le roi bien grandi !
Assurément – le valet de chambre de l’Empereur le remarquera – les deux demi-frères se ressemblent ; ils ont tous deux le front de l’Empereur et une tête un peu forte pour leur corps...
Napoléon éclate de rire :
— Que feras-tu quand tu seras grand ? demande-t-il à l’enfant.
— Je ferai la guerre comme Napoléon.
— Tu aimes donc l’Empereur ?
— Oui...
— Et pourquoi l’aimes-tu ?
— Parce que c’est mon papa et que maman m’a dit de l’aimer.
Foureau écoute avec attendrissement.
— Ne parlez à personne de l’Impératrice et de l’enfant, recommande Napoléon en le congédiant, ils n’iront pas à Porto-Ferrajo cette fois-ci ; ils ne font que passer et reviendront plus tard.
La bévue du médecin fait comprendre à l’Empereur qu’il ne pourra pas longtemps faire croire à cette fable. Foureau a, en effet, deviné la vérité. Marie-Louise, qui se trouve actuellement, en France, aux eaux d’Aix, risque
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