Napoléon
au-dessous de Sainte-Hélène l’endroit a été usé par les coups d’ongles de l’Empereur... Pour l’antichambre, le gouverneur fournit un billard lourd et disgracieux. On l’a retrouvé quelque part dans l’île ainsi que les marques, les boules et le râtelier pour les queues. Napoléon n’y joua presque jamais, se contentant de pousser les boules avec ses mains, mais il utilisera le billard pour étaler ses cartes. Et c’est, sur ce même billard, que, plus tard, l’autopsie de son corps sera faite...
Du salon, on quitte le bâtiment perpendiculaire pour arriver à la salle à manger, tout aussi pauvrement meublée et qui s’ouvre, à gauche sur la bibliothèque et, à droite, sur le cabinet et sur la chambre de l’Empereur. Tendue de nankin blanc-crème avec une bordure de roses rouges, chacune des deux petites pièces reçoit l’un des lits de camp de l’Empereur et, durant ses longues insomnies, le prisonnier aimera aller d’un lit à l’autre. Il s’allongeait aussi sur un canapé qui semble être celui que l’on a placé aujourd’hui devant la porte de la salle de bain. La baignoire en cuivre, emportée en 1840, a longtemps été « égarée » dans les combles des Invalides ; elle a enfin repris le chemin de l’île où elle a retrouvé sa place.
Marchand arrange le mieux possible ce que Napoléon appelle, selon son habitude d’autrefois, « son intérieur ». Il y place un portrait de Marie-Louise tenant le roi de Rome dans ses bras, un autre portrait du petit roi – celui d’Isabey – le nécessaire en vermeil, le lavabo en argent venu de l’Elysée, le réveil-matin du Grand Frédéric, quelques miniatures enfin.
Si ce n’était l’exiguïté des pièces et la médiocrité de leur agencement – l’Empereur, pour gagner le salon de sa chambre, est obligé de traverser la salle à manger –, l’ensemble n’est pas trop pitoyable.
Les deux fenêtres à guillotine donnent au nord – c’est-à-dire en plein soleil austral – et ouvrent sur le petit jardin où l’Empereur est presque chez lui. Durant le jour, il peut s’y promener tout à loisir, aussi bien qu’à l’intérieur de l’enceinte longue de sept kilomètres et close par un petit mur. Face à ce petit mur, à cinquante pas les unes des autres, se tiennent les sentinelles. À la nuit, les soldats quittent leur poste et vont entourer la maison. Au-delà, Napoléon peut encore monter à cheval à sa guise dans une seconde enceinte dite des « douze milles » ; ce n’est qu’un lopin de terre pour celui qui a galopé à travers l’Europe. La présence de patrouilles lui rappelle, à chaque détour du chemin, sa situation de prisonnier. S’il désire se promener dans le reste de l’île – hors les endroits fortifiés – l’Empereur doit en aviser l’officier anglais – Poppleton – qui demeure à Longwood et qui, dans ce cas, est chargé d’accompagner le « général Bonaparte ».
À Longwood, les proscrits vivent entassés. Aux trois généraux, à Mmes Bertrand et de Montholon, à leurs enfants, aux deux Las Cases, au docteur O’Meara, aux douze domestiques, à une dizaine de marins du Northumberland transformés en valets, viendra se joindre, le 29 décembre, un officier polonais : Piontkowski, arrivé on ne sait trop comment à Sainte-Hélène. L’Empereur et ses compagnons affirmaient ne l’avoir jamais vu autrefois, les historiens ne le connaissent pas davantage... Hâbleur et quelque peu aventurier, il quittera d’ailleurs l’île l’année suivante.
L’Empereur essaye de lutter en maintenant à Sainte-Hélène les usages des Tuileries. Il essaiera autant qu’il le pourra – et dans cette bicoque entourée de cailloux ce n’est guère facile ! À l’abri derrière cette étiquette il se sent encore empereur. Le soir, le maître d’hotel Cipriani, habit vert bordé d’argent, annonce : « Sa Majesté est servie », et les officiers en grand uniforme, les femmes en robes décolletées se retrouvent autour de la table brillamment éclairée et servie par les valets en tenue comme aux Tuileries. Toute la vaisselle est en argent, les couverts en vermeil, et, au dessert, paraît le célèbre service des « Quartiers Généraux ». On sert un potage, un relevé, deux entrées, un rôti, deux entremets et des sucreries confectionnées par Pierron. On oublie la petitesse et la médiocrité de la salle à manger, on oublie la pluie qui crépite sur les toits
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