Napoléon
son vainqueur les conditions de l’armistice. C’est seulement le 19 que Napoléon – il se trouve alors à Halle – répond à Frédéric-Guillaume : « Toute suspension d’armes qui donnerait le temps d’arriver aux armées russes, serait trop contraire à mes intérêts pour que, quel que soit le désir que j’ai d’épargner des maux et des victimes à l’humanité, je puisse y souscrire... »
Un diplomate, le comte d’Hauterive, écrivait fort justement ce même jour à Talleyrand ces lignes prophétiques : « Il faut que l’une tue l’autre. Il faut ou que la France périsse ou qu’elle détrône assez de rois pour que ce qui reste ne puisse composer une coalition. La coalition aura détruit l’Empire français le jour où elle l’aura fait rétrograder ; car, dans cette marche, on ne s’arrête pas... »
Napoléon ne pouvait s’offrir le luxe de ne pas mettre à genoux ses adversaires. Poussé par un étrange sentiment, il avait épargné le tsar au lendemain d’Austerlitz. Il agira de même, l’année suivante, au lendemain de Friedland – et c’est Alexandre qui aura un jour le dernier mot. Pour Frédéric-Guillaume, nulle pitié. Le 23 octobre, outre une lourde contribution de guerre, la Prusse doit céder tous les États prussiens situés entre le Rhin et l’Elbe. L’aigle française remplacera partout les aigles prussiennes, mais les deux pays n’en demeurent pas moins en guerre. Napoléon donne également l’ordre de prendre possession des États du prince d’Orange, de la province de Hanovre et d’Osnabruck. Le ducde Brunswick – l’auteur du fameux Manifeste qui, à la veille du 10 août 1792, avait détrôné la monarchie française – ose recommander le sort de son duché à Napoléon. Son envoyé s’attire cette réponse du « successeur » de Louis XVI :
Si je faisais démolir la ville de Brunswick et si je n’y laissais pas pierre sur pierre, que dirait votre prince ? La loi du talion ne me permet-elle pas de faire à Brunswick ce qu’il voulait faire de ma capitale ?
Le 24 octobre, Napoléon – quelque peu ému – s’installe à Potsdam au château de Sans-Souci. On le sait, il porte à Frédéric II une profonde admiration :
— Son génie, son esprit et ses voeux étaient avec la France qu’il a tant estimée et dont il disait que, s’il en était roi, il ne se tirerait point un coup de canon en Europe sans sa permission.
L’Empereur visite l’appartement du Grand Frédéric, essaye sa lorgnette de bataille, ouvre ses livres préférés annotés de sa main, et – dépouilles de guerre – s’empare de la ceinture du roi, de ses grands cordons et de son épée.
— Je préfère ces trophées, s’exclame-t-il, à tous les trésors du roi Guillaume. Je les enverrai à mes vieux soldats du Hanovre ; je les donnerai au gouverneur des Invalides, qui les gardera comme témoignage des victoires de la Grande Armée et de la vengeance qu’elle a tirée des désastres de Rossbach.
Il prend également le réveille-matin du roi – une grosse montre d’argent qu’il emportera avec lui à Sainte-Hélène et qui sera accrochée là-bas, dans sa petite maison de bois, à gauche de la cheminée de sa chambre.
Le 26, il va visiter le tombeau de Frédéric. Il s’y rend à pied et y demeure dix minutes « immobile et silencieux et comme absorbé dans une méditation profonde ». Ce même jour, Davout a eu l’honneur — Napoléon devait bien cela au vainqueur d’Auerstaedt – d’entrer le premier dans la ville. Poursuivant sa tournée de touriste de la gloire, l’Empereur se rend au château de Charlottenbourg, pour visiterles appartements du roi et de la reine. Là, seul avec son aide de camp Ségur, il se met à rêver :
— Achèverai-je l’anéantissement de la Prusse ou profîterai-je des regrets de son roi ?
Pourquoi ne pas « s’attacher » Frédéric-Guillaume en le nommant roi de Prusse et de Pologne ? Mais les futurs combats avec le tsar vont orienter Napoléon vers d’autres projets.
Le 27 octobre, au son des tambours et de la musique de là Garde, l’Empereur fait son entrée à Berlin par la porte de Brandebourg, où attendent les notabilités ayant à leur tête le gouverneur, le prince de Hatzfeldt. Puis Napoléon monte à cheval – un cheval gris – et pénètre dans la ville précédé des mamelouks et des grenadiers coiffés de leur célèbre bonnet d’ourson. La foule se presse et les croisées sont
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