Napoléon
garnies comme à Paris, « le jour de notre arrivée d’Austerlitz », nous dit Coignet.
Napoléon s’avance, seul, vêtu de son habit vert de colonel des chasseurs de la Garde, barré par le grand cordon de la Légion d’honneur, tandis que derrière lui, à dix pas, suivent les maréchaux, les généraux, les aides de camp, l’état-major, rutilants d’or, d’argent et de plumes. Mais on ne voit pourtant que lui, « avec son petit chapeau et sa cocarde d’un sou ». Dans ses yeux passent des éclairs. Il faut aux Berlinois – l’un d’eux le reconnaîtra, stupéfait – une rare énergie pour ne pas courber la tête sous ce regard. Après lui, marche encore la gendarmerie d’élite et la Garde, « en tenue aussi belle qu’aux Tuileries ». On les acclame et cet enthousiasme des Berlinois étonne les vainqueurs. Les habitants semblaient « bien aises, nous dit le vélite Barrés, qu’on ait donné une bonne raclée à leur roi ».
Arrivé devant la statue du Grand Frédéric, l’Empereur décrit autour d’elle un cercle au galop de son cheval et salue à la fois de Pépée et d’un large coup de chapeau. L’état-major est bien obligé de l’imiter et se découvre.
Napoléon va s’installer au palais royal, laissantau prince de Hatzfeldt sa fonction de gouverneur de Berlin. Mais une lettre du prince au comte de Hohenlohe a été interceptée. Elle contient des renseignements sur la position des troupes et sur le nombre des caissons de munitions entrés dans la ville. L’Empereur, dont on devine la violente colère, ordonne à Rapp de faire arrêter immédiatement le gouverneur et – en dépit des remarques de Berthier et de Rapp – de le traduire devant une commission militaire. L’affaire va permettre à Napoléon de jouer une scène qui passera à la postérité. La princesse de Hatzfeldt, qui attend un enfant, vient se jeter aux pieds de Napoléon, ignorant que l’Empereur possède la preuve de la déloyauté du gouverneur. Elle proclame l’innocence de son mari. Sans dire un mot, Napoléon fait appeler l’aide de camp de service et demande qu’on lui apporte la malheureuse dépêche :
— Lisez, Madame.
La princesse, après avoir lu, s’effondre en sanglotant.
— Eh bien, Madame, reprend l’Empereur en montrant la cheminée, puisque vous tenez entre vos mains la preuve du crime, anéantissez-la et désarmez ainsi la sévérité de nos lois de guerre !
Une heure plus tard, Hatzfeldt, libéré, quitte Berlin pour ses terres... « Tu vois donc, ajoute Napoléon en contant la scène à Joséphine, que j’aime les femmes bonnes, naïves et douces ; mais c’est que celles-là seules te ressemblent. »
Le 22 novembre, l’Empereur signe le fameux décret de Berlin ordonnant le blocus continental contre l’Angleterre, dont les « intrigues », selon son expression, ont poussé la Prusse et la Russie à la guerre.
Je veux, déclare-t-il, conquérir la mer par la puissance de la terre.
Pour atteindre ce but, point d’autre solution que de pousser l’Angleterre à la ruine en la coupant de ses clients du continent. C’est par le commerce qu’onl’attaquera, à défaut de la fameuse « descente » aujourd’hui abandonnée. Désormais les îles Britanniques sont déclarées «en état de blocus ». Tout commerce et toute correspondance sont interdits à la France et à ses alliés – plus ou moins volontaires – avec celle que l’Empereur nomme « la perfide Albion ». On ferait ainsi le « siège » de l’Angleterre et on la réduirait à la famine, comme une place forte assiégée. Mais, pour mener à bien ce vaste projet, il fallait être le maître de tout le continent et lui imposer les privations découlant du décret – c’est-à-dire prier par exemple tous les Européens de prendre leur café sans sucre, en attendant que se développe la fabrication de la betterave sucrière...
La campagne contre la Russie va commencer, mais l’armée n’a pas encore eu le temps de refaire ses approvisionnements et manque de tout. Par ailleurs, la longueur des communications avec Paris oblige l’Empereur à occuper une grande partie de l’Allemagne. Aussi, de Posen – il séjournera dans la capitale de la Posnanie polonaise du 27 novembre au 13 décembre – l’Empereur lance-t-il de nombreux ordres.
D’abord, le 27 novembre, le principal : « Je demande, écrit-il à Cambacérès, quatre-vingt mille hommes ; c’est pour assurer la
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