Napoléon
Stéphanie en pleurs et lui avait demandé la raison de ses larmes.
— Ce n’est que cela ! s’était-il exclamé, eh bien, assieds-toi sur mes genoux, tu ne gêneras personne.
Assurément, l’Empereur avait tout d’abord été amusé, puis troublé par cette femme-enfant, et la jalousie de l’Impératrice mise en alerte... Bien plus, Napoléon, s’il faut en croire Mme de Rémusat, « toujours le même, ne dissimula point à sa femme son penchant et, trop sûr de son pouvoir, il trouvait assez mauvais que le prince de Bade pût s’aviser de se blesser de ce qui se passait sous ses yeux ».
La voiture approche maintenant du dernier relais avant Varsovie.
Napoléon est las. La dernière campagne dans la neige et le vent glacial a été affreusement pénible. Il n’a guère eu le temps de songer à l’amour. Pourtant, à la guerre, son entourage s’évertuait à lui procurer le repos du soldat. C’est ainsi que cette même année 1806, à Berlin, il se souvenait de cette jeune fille qui, lors d’une revue, accompagnée d’une femme âgée, lui avait présenté une pétition :
— Constant, avait-il dit à son valet de chambre, après avoir pris connaissance de la pétition, lisez cette demande, vous y verrez la demeure des femmes qui me l’ont présentée. Vous irez chez elles pour savoir qui elles sont et ce qu’elles veulent.
« Je lus le placet, racontera le valet de chambre, et je vis que la jeune fille demandait pour toute grâce un entretien avec Napoléon. » Constant s’était rendu à l’adresse indiquée et y avait trouvé une demoiselle de quinze à seize ans, « d’une beauté admirable ». Malheureusement, il découvrit aussi, « en lui adressant la parole, qu’elle ne comprenait pas un seul mot de français ni d’italien. Et en songeant à l’entretien qu’elle sollicitait, ajoute-t-il, je ne pus m’empêcher de rire ».
Napoléon n’en accepta pas moins d’accorder l’audience demandée, et la jeune personne arriva au Palais en compagnie de sa mère – ou de celle qui se faisait passer pour telle. « J’engageai la mère, poursuit Constant, à rester dans un cabinet pendant que j’irais présenter la jeune fille à l’Empereur. Napoléon la retint et je me retirai. Quoique la conversation ne dût pas être fort intéressante entre deux personnes qui ne pouvaient se comprendre que par signes, elle ne laissa pas de se prolonger une partie de la nuit. »
Vers le matin, Napoléon appela Constant, lui demanda quatre mille francs qu’il remit lui-même à la jeune Prussienne. Elle avait paru fort contente et partit rejoindre sa « mère », qui n’avait pas eu l’air d’éprouver la moindre inquiétude sur la longue durée de l’entretien.
Napoléon se souvenait en souriant de cette brève aventure : au cours de la « conversation », il n’avait rien pu comprendre de ce que lui avait dit la petite, hors ces mots : Das ist miserable, das ist gut.
Il ne croit guère à l’amour. Rappelons-le, il avait dit autrefois :
— L’amour est une sottise faite à deux... Je crois en, définitive, ajoutait-il, que l’amour fait plus de mal que de bien et que ce serait un bienfait d’unedivinité protectrice que de nous en défaire et d’en délivrer les hommes.
C’est avant de connaître Joséphine qu’il s’était montré aussi désabusé ! Cependant, c’est toujours vers la femme qu’il a le plus aimée – de son propre aveu – que Napoléon tournait les yeux lorsqu’il parlait des infidélités, des dettes et de la coquetterie des femmes. C’est l’image de la chère et frivole créole qui se présenta à lui lorsqu’il établit le Code civil. C’est ainsi, indirectement, à Joséphine, que les femmes doivent encore aujourd’hui – en dépit des modifications apportées au Code Napoléon – de n’être point les égales de l’homme.
Ce qui n’est pas français, déclarait-il, c’est de donner de l’autorité aux femmes !
Et c’est pourquoi il avait énoncé ce qui devait être pour lui à la base même des lois :
— Il faut que la femme sache que sortant de la tutelle de la famille, elle passe sous celle de son mari !
Il aurait même voulu aller plus loin encore en suggérant :
— Ne devrait-on pas ajouter que la femme n’est point maîtresse de voir quelqu’un qui déplaît à son mari ?
Toujours Joséphine ! Joséphine qui n’avait point hésité à recevoir des personnages de réputation équivoque
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