Napoléon
même, la population, persuadée que Napoléon va épouser la cause de Ferdinand VII et sanctionner l’abdication de l’impopulaire Charles IV, acclame celui qui a présidé à l’exécution du duc d’Enghien, cousin de leurs rois...
La mission de Savary consiste d’abord à berner le chanoine Escoïquiz, ancien précepteur et confesseur du nouveau souverain. Avec une apparente candeur, Savary expose l’étonnement de Napoléon devant l’abdication puis la rétractation de son allié Charles IV. L’Espagne ne peut avoir deux rois ! Il faut clarifier la situation ! Pourquoi Ferdinand VII, s’il veut dissiper toute équivoque et se faire reconnaître souverain de l’Espagne par l’Empereur, ne vient-il pas plaider lui-même sa cause devant Sa Majesté Impériale ?
Le chanoine rapporte l’entretien qu’il a eu avec le duc de Rovigo au « roi Ferdinand » qui, non sans inquiétude, demande à Savary de venir le voir. Le destin, non seulement du royaume, mais celui de l’Empire français – l’Espagne sera son tombeau – va se jouer.
Savary commence par jeter l’inquiétude dans l’esprit de Ferdinand :
— L’Empereur met tant d’intérêt à ce qui se passe en Espagne qu’il s’approche lui-même de la frontière, et je suis assuré qu’en ce moment il est parti de Paris. Il recevra un courrier en chemin, ainsi que beaucoup d’autres que lui adresseront les différentes autorités qui sont ici. Vous avez à craindre que beaucoup de rapports ne vous soient pas aussi favorables que vous paraissez le croire, et que l’Empereur ne veuille prendre aucun parti avant de s’être entendu avec le roi Charles sur tout ceci.
Ferdinand réfléchit... autant que son intelligence bornée le lui permet. Ne vaudrait-il pas mieux devancer le vieux roi ? D’autant plus que Savary laisse entendre que son maître ne fera pas de difficultéspour s’incliner devant le changement de règne. « Il arriva ce qui arrive dans les entretiens de ce genre, explique très justement Thiers : le général crut n’avoir rien promis en faisant tout espérer et Ferdinand crut que tout ce qu’on lui avait donné à espérer, on le lui avait promis. »
Tel un écolier – l’expression est de Savary – le malheureux souverain prie le général de le mener près de Napoléon.
Où se ferait la rencontre ?
Puisque l’Empereur se dirigeait vers la frontière, accepterait-il de pousser jusqu’à Burgos ? Ainsi l’entrevue – détail d’importance pour Ferdinand – pourrait avoir lieu en territoire espagnol. Rovigo ne dissipe pas ces illusions. Mais, bien sûr, il n’était pas question pour l’Empereur de s’aventurer en Espagne et Savary écrit le même jour à son maître : « Tout ce qui a le bonheur de Lui être attaché est malade de la seule pensée de voir entrer Votre Majesté en Espagne ; j’aimerais autant lui voir faire encore une fois le chemin d’Alexandrie au Nil avec vingt-cinq guides, que d’entreprendre ce voyage dans lequel il n’y a pas moins de danger pour Elle. »
C’est vers Bayonne – et de gré ou de force – qu’il faut entraîner Ferdinand ! À Bayonne où se tisse déjà « la toile d’araignée où viendront se prendre les malheureuses proies royales ». D’ailleurs le duc de Rovigo – il le promet à l’Empereur – convoiera lui-même jusqu’à Bayonne le prince des Asturies « dans la crainte de quelque revirement dans sa résolution. Si dans cette occasion, précise-t-il, j’ai été constamment dans les intentions de Votre Majesté, ce sera encore un jour heureux dans ma vie que j’ai vouée à son service. »
Et, le 10 avril au matin, le cortège prend la route du nord. Sous le prétexte de ressentir encore la fatigue de son voyage de Paris à Madrid, Savary réclame au grand écuyer du roi « un attelage dans les relais ». Ainsi il ne quittera pas celui qu’il considère comme son prisonnier.
Arrivé à Burgos, Ferdinand est stupéfait de ne pas trouver l’Empereur. Le maréchal Bessières, dont lestroupes cantonnent autour de la vieille cité, essaye de le tranquilliser, mais sans grand succès. Savary se lance alors dans une nouvelle scène de son répertoire. Assurément Sa Majesté Impériale attend « le roi » à Vitoria...
Et le cortège reprend la route.
Bien entendu, à Vitoria point d’Empereur. Cette fois, la résistance de Ferdinand devient énergique. Il déclare fermement qu’il attendra le souverain français à
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