Napoléon
Vitoria. À aucun prix il ne quittera ses États ! Pour tout arranger, l’un des gentilshommes du roi – Cevallos – apprend que Napoléon n’a pas encore dépassé Bordeaux.
— La dignité de mon maître, affirme-t-il à Rovigo, l’empêche de faire un pas de plus dans la direction des Pyrénées.
— Il ne peut être question de dignité, rétorque Savary, tant que Charles IV refuse de quitter le trône d’Espagne et que l’Empereur est prêt à donner son appui au souverain légitime si celui-ci demande de l’aide.
— Mais nous n’avons pas besoin de l’Empereur, s’exclame l’Espagnol. Nous nous arrangerons bien sans son secours, nous ne voulons rien avoir affaire avec lui !
— Monsieur, voilà une mauvaise réponse, parce que l’on ne fait pas ce qu’on veut en ce monde, et si l’Empereur veut avoir affaire avec vous, il faudra bien malgré vous avoir affaire avec lui.
— Mais pouvez-vous assurer le roi que l’Empereur le reconnaîtra ? demande alors ingénument Cevallos.
— Je n’en sais rien, aurait alors répliqué le duc de Rovigo, je ne suis autorisé ni à l’affirmer, ni à en douter, et il n’y a rien à arguer de ce que je puis dire là-dessus, je ne connais rien de la détermination de l’Empereur...
Pour la connaître, Savary galope vers Bayonne où il retrouve son maître au château de Marracq. Après avoir écouté l’exposé de son fidèle aide de camp, Napoléon estime qu’il doit suivre Savary sur le chemin de la ruse. « Je le dis à Votre Altesse, auxEspagnols et au monde entier, écrit-il à Ferdinand, si l’abdication du roi Charles est de pur mouvement, s’il n’y a pas été forcé par l’insurrection et par l’émeute d’Aranjuez, je ne fais aucune difficulté de l’admettre, et je reconnais Votre Altesse royale comme roi d’Espagne. Je désire donc discuter avec lui de cet objet... »
En réalité, Napoléon ne songe qu’à « reconnaître » son frère Joseph I er . Et sournois, l’Empereur ajoute avec un manque de foi qui nous gêne ; « Votre Altesse royale connaît ma pensée tout entière. Elle voit que e flotte entre diverses idées qui ont besoin d’être ixées. Elle peut être certaine que, dans tous les cas, je me comporterai avec Elle comme avec le roi son père. Qu’Elle croie à mon désir de tout concilier. »
À la lecture de cette lettre où il est simplement traité d’Altesse royale, Ferdinand se cabre. Il prend une attitude d’autant plus résolue que des paysans armés, inquiets et furieux à l’idée que l’on puisse leur enlever leur roi, sont venus de tous les environs et prêts à le défendre occupent les rues de la petite ville. La cour se divise en deux clans : les gentilshommes qui se sont compromis pour le nouveau roi et ont peur de voir Napoléon rendre la couronne à Charles IV, et ceux qui font passer l’intérêt de l’Espagne avant le leur et craignent tout du départ de leur souverain pour la frontière française.
— Je plains l’Espagne, s’écrie Urquijo, ancien ministre du roi Charles, et je retourne dans mon coin pour y pleurer !
Napoléon, craignant que Ferdinand ne reprenne le chemin de Madrid, ordonne à Bessières : « Si le prince des Asturies quitte Vitoria et a dépassé Burgos pour se rendre à Madrid, vous enverrez après lui et vous le ferez arrêter partout où il se trouvera, car, s’il refuse l’entrevue que je lui propose, c’est signe qu’il est du parti des Anglais et alors il n’y a plus rien à ménager. »
À ces méthodes expéditives, Savary préfère le grand jeu... un grand jeu qui ne sert guère sa mémoire. Il se présente devant Ferdinand et lui affirme avec autorité :
Je veux qu’on me coupe la tête si un quart d’heure après l’arrivée de Votre Majesté à Bayonne, l’Empereur ne vous a pas reconnu pour roi d’Espagne et des Indes. Il commencera peut-être par vous donner le titre d’Altesse, mais bientôt après il vous traitera de Majesté et tout sera réglé : Votre Majesté pourra retourner sur-le-champ en Espagne !
Cette fois – le 19 avril – Ferdinand accepte de partir, mais les paysans s’interposent. L’un d’eux coupe même les traits des mules de la voiture royale. Le duc de l’Infantado parvient à les calmer et le cortège peut enfin repartir vers le nord. On s’arrête à Irun pour la nuit, et, le lendemain, Savary voit avec joie les voitures atteindre les rives de la Bidassoa et s’engager sur le
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