Napoléon
sont vos fourgons, c’est-à-dire le produit de vos rapines. Et pensez-vous donner le change ? Si vous n’aviez pas tenu à l’or impur que charriaient vos fourgons, plus qu’à l’honneur, vous auriez compris ce que le devoir commandait ; mais vous n’avez plus été ni des Français, ni des généraux, vous n’avez été que des voleurs et des traîtres.
Enfin, avant de quitter la place, il lancera encore :
— Aussi, comme sujet, votre capitulation est un crime, comme général c’est une ineptie ! Comme soldat, c’est une lâcheté, comme Français, c’est la première atteinte sacrilège portée à la plus noble des gloires !
Napoléon a quitté Bordeaux et passe la nuit à Fontenay-le-Comte, lorsqu’un courrier lui annonce que l’insurrection triomphait partout outre Pyrénées et que Joseph s’apprêtait à abdiquer. De rage, l’Empereur casse une grande bassine de faïence qui vient de lui être apportée pour prendre un bain de pieds. Au lendemain de Baylen, en effet, Don José primero a dû abandonner sa capitale avec ses soldats. Quant à la capitulation de Junot, elle l’a obligé à se rapprocher des Pyrénées ! Le duc d’Abrantès remonte si rapidement vers la frontière que Napoléon pourra lui écrire le 16 août : « L’armée paraît commandée non par des généraux, mais par des inspecteurs des postes. Comment peut-on évacuer l’Espagne sans raison, sans même savoir ce que fait l’ennemi ? »
La honte serre l’Empereur à la gorge :
— J’ai là une tache, déclare-t-il à Joséphine en touchant le revers de son habit.
La terrible aventure est commencée. Ces dépêches qui résument bien la situation ont été échangées entre Napoléon et son frère :
« Sire, je ne suis point épouvanté de ma position, mais elle est unique dans l’Histoire : je n’ai pas ici un seul partisan. »
« Vous avez un grand nombre de partisans en Espagne, mais qui sont intimidés. Ce sont tous les honnêtes gens. Vous ne devez pas trouver extraordinaire de conquérir votre royaume. Philippe V et Henri IV ont été obligés de conquérir le leur. »
« Non, sire, vous êtes dans l’erreur, les honnêtes gens ne sont pas plus pour moi que les coquins.
Votre gloire échouera en Espagne. Mon tombeau signalera votre impuissance... »
Joseph, roi philosophe, a-t-on dit, prévoyait alors l’avenir avec infiniment plus de clairvoyance que Napoléon. La « pente irrésistible » conduira l’Empereur jusqu’à l’abîme.
X
L’ESPAGNE
ou
« LE NOEUD FATAL »
La plus grande faute que j’ai faite est l’expédition d’Espagne.
N APOLÉON .
Vous êtes bien jeune, Monsieur, pour représenterla plus vieille monarchie de l’Europe !
C’est en ces termes que Napoléon avait accueilli Metternich nommé, en 1806, à trente-trois ans,ambassadeur à Paris.
— Sire, répondit le nouveau diplomate en s’inclinant, mon âge est celui qu’avait Votre Majesté àAusterlitz.
Dans la bouche d’un Autrichien – du vaincu dela veille – le compliment valait son poids de courtisanerie.
Après trois années d’ambassade et au lendemainde la honte de Baylen, Metternich voit la situationavec clarté : la chute de Napoléon est inéluctable.Aussi l’empereur François, l’espoir au coeur, croit-ille moment venu de mettre son empire sur pied de guerre. Napoléon ne tarde pas à l’apprendre :
— L’Autriche arme et devient insolente ! s’exclame-t-il.
Rentré à Paris, il demande, le 14 août, à Metternich :
— Mais qui donc vous attaque, pour songer ainsi à vous défendre ?
Avec clairvoyance l’Ambassadeur prêche alors la prudence à son maître. Attaquer – ou forcer « Moloch » à attaquer – est, selon lui, prématuré. Aussi, dès le 23 août, Metternich affirme-t-il à Napoléon que François d’Autriche, désespéré de lui avoir déplu, désarme ses troupes et se fera un plaisir de reconnaître don José primero roi d’Espagne. Metternich multiplie les paroles apaisantes. Que Napoléon se rassure : entre les deux empereurs, il ne s’agit que d’une «querelle d’amants ». Un jour, Napoléon traitera le futur chancelier de jongleur diplomatique, aujourd’hui, il fait semblant de le croire :
— Je regarde donc tout comme fini, conclut-il.
Il n’a, en effet, besoin que de huit mois de répit, huit mois qui, du moins le croit-il, doivent lui permettre de remettre Joseph sur son trône.
L’Empereur a
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