Nice
dit, et tous les autres, Rex,
Philippe, et même Dante, Antoine, lui paraissaient n’avoir jamais parlé. Des
bruits, des échos, pas de paroles. Elle était injuste, mais elle sentait ainsi.
Et elle l’avait écouté toute la nuit, leur première nuit,
sans penser à autre chose.
— Je te laisse, disait-il, je vais me baigner. Je me
baigne tous les matins, l’été. La mer, c’est…
Elle était entrée dans sa chambre, avait pris son maillot et
son bonnet.
— Si tu veux, avait-elle dit en retournant dans le
salon, je viens avec toi.
Violette avait découvert l’aube et la mer.
Ils rentraient lentement à Saint-Paul, Sam s’enfermant dans
l’atelier, Violette partant pour les studios de la Victorine.
— Tu as changé, toi, lui avait dit Rex, peu de temps
après qu’elle avait commencé à vivre avec Sam.
Elle avait demandé à le voir, sans inquiétude. Figuration,
bouts de rôle, concours d’élégance, petits pas devant un parterre de dames,
sourire, le coude appuyé à la portière d’une automobile, tout cela, c’était
fini. Elle le disait à Rex, calmement, comme une évidence qu’il allait
accepter, sinon…
— Et Philippe ? demandait-il. Tu as définitivement
laissé tomber ?
Il était en Chine, en Allemagne, puis en Ethiopie, filmant
la progression des Italiens vers Addis-Abeba. Il postait une lettre au Caire,
la censure fasciste, expliquait-il. Il racontait les avions mitraillant les
troupes du Négus, les longues traînées blanches des gaz toxiques, et ces autres
moutonnements blancs, les corps couchés des soldats noirs enveloppés dans leur
chamma de laine. La guerre, ici, elle a commencé et comment ! écrivait Philippe Roux. À Nice, tu ne dois guère t’en douter. Mais elle ira
jusque là-bas. Quand on a vu, entendu, on en est persuadé. Et toi ?
J’essaie de t’imaginer. C’est difficile aussi. Sans doute as-tu maintenant
rencontré quelqu’un. Comment t’en vouloir ? Je ne regrette pas d’être
parti. À la fin, j’allais très mal, je crois. À Nice, si l’on n’a rien de grand
à vivre, à faire, on pourrit. J’ai vu à Paris un film de Jean Vigo, À propos
de Nice. Voilà un film que j’aurais dû faire. Et pu faire, peut-être. Essaie
de le voir. Je t’écrirai. Mais je dois rentrer en France. Bien sûr, j’espère te
revoir. En ami. Philippe.
Violette ne répondait pas à Rex.
— Si tu as quelque chose, disait-elle, mais derrière la
caméra, plus devant.
— Tu te réserves pour quelqu’un ?
— Si tu veux.
Ce calme qu’elle connaissait, cette indifférence aux
regards, à leurs questions. « C’est vrai que tu es avec Lasky ? »
— Tu connais bien Lasky, je crois ? interrogeait
Rex à son tour.
— Un peu.
— S’il pouvait…
Elle l’interrompait.
— Ce qui m’intéresserait, disait-elle, au début si
j’étais en double avec une script, comme ça, pour apprendre.
Il bougonnait. « Qu’est-ce que tu sais ? »
Mais elle répétait avec la détermination de ceux qui peuvent gagner parce
qu’ils sont prêts à accepter de tout perdre. « Bon, bon, ça va, disait
Rex. On va voir. »
Elle débutait, efficace, son cahier à la main, secouant ses
cheveux dans le soleil, arrivant sur le plateau avant les autres, un chemisier
à col ouvert, une grosse ceinture de cuir sur un pantalon de toile, des
souliers sport. Pratique pour marcher dans la poussière, sauter à pieds joints
d’un camion de prise de vues. Elle découvrait, vêtue ainsi, une autre manière
de bouger, de courir, comme si son corps s’était allégé, retrouvant l’aisance
de la première enfance, avant qu’on l’enferme, le raidisse, et il avait fallu
pourtant qu’elle paraisse, quand elle faisait virevolter autour de sa taille
les robes longues de Haute Couture, souple, libre, alors qu’elle était
prisonnière. Maintenant, un autre corps. Que Sam, parfois…
— Reste nue, disait-il, va comme ça.
Elle marchait dans l’atelier, et avait-elle jamais marché
nue, en pleine lumière du jour, devant quelqu’un ?
Avec Philippe, une retenue, de la prudence. Il voulait la
posséder, alors elle se dérobait. Sam la désirait sans la contraindre.
— Tu sais, toi et moi, si on en a marre, on arrête.
Il avait tenu d’abord à ce qu’elle conserve son appartement
de Cimiez. Mais d’elle-même, après quelques mois, elle l’avait abandonné. « Je
m’en vais, miss Russel. Je suis heureuse, je viendrai vous voir. »
Violette
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