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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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et j’entendais son exclamation joyeuse quand elle apercevait Monsieur et Madame
Baudis.
    — Depuis le temps ! répétait-elle.
    Ils s’embrassaient, elle parlait, insouciante. Ils
s’approchaient de la grève encore interdite, regardaient les poutrelles du
Palais de la Jetée-Promenade, doigts noirs que la mer attaquait, vestiges
qu’une tempête plierait.
    — En somme, disait Monsieur Baudis, nous nous en sommes
bien sortis.
    Il s’appuyait à la balustrade. Je haïssais ma mère pour sa
complaisance, ce sourire de satisfaction qu’elle avait à écouter ce vieux
monsieur au feutre gris perle, une pochette blanche à son veston. Mon père parlait-il
plus mal ?
    — Voyez-vous Madame Revelli, continuait Monsieur
Baudis, la France est un vieux pays, loin des extrêmes et c’est pour cela que
nous nous tirons des plus mauvais pas. Nous avons appris la mesure. Ça c’est
français. Nous nous excitons mais quand il faut choisir… (Il prenait Madame
Baudis contre lui.) Des maîtresses oui, mais il n’y a qu’une épouse, une seule
qui compte, voilà le Français.
    Dès que nous les avions quittés, ma mère remettait son
masque. Colère et ennui. Et j’avais vu mon père enthousiaste, place de la Préfecture,
chanter à tue-tête, avant de le retrouver silencieux, morose, à notre table.
Loin l’un de l’autre, ils paraissaient heureux et je souffrais de cette
découverte car j’étais né de leur rencontre. J’aurais voulu qu’ensemble ils me
prouvent que j’étais nécessaire à leur vie alors qu’ils se déchiraient comme ce
jour, l’un des premiers dimanches après le retour de mon père, où nous avions
été rue de la République, pour voir la maison de mon grand-père Vincente.
    Lily nous rejoignait dans la cour encombrée de gravats, de
persiennes brûlées, de tuiles.
    — Vous n’étiez jamais venu depuis, Dante ?
demandait-elle. Moi, j’ai eu de la chance, j’étais de l’autre côté. Quand
Lucien saura, je ne peux plus lui écrire maintenant. Sa mère, pour lui, c’était
tout.
    Mon père essayait de monter par l’escalier d’ardoises que
des poutres brisées barraient.
    — Je veux voir, répétait-il.
    Je tentais de le suivre mais ma mère m’agrippait :
    — Reste là. Laisse-le lui, s’il veut. Après tout il n’a
même pas assisté à l’enterrement.
    Mon père redescendait dans la cour avec une boîte de bois,
couverte de poussière. Il s’asseyait, il l’essuyait méticuleusement, faisait
jouer la serrure.
    — C’est mon père qui a fait ça, disait-il.
    Il la retournait, passant sa paume ouverte sur les côtés,
caresse hésitante et lente.
    — Le bois, il aimait le travailler.
    Ma mère entraînait Christiane, m’appelait.
    — On ne va pas rester ici toute la journée,
disait-elle. Chez les Revelli on sait parler, mais on n’est jamais là quand il faut.
On ne sait jamais ce qu’il faut. Parler, ah ! oui. Ils savent.
     
    M’enfuir, les abandonner à leur guerre, vivre dans la rue,
ailleurs. Je ressentais cette exigence comme l’affirmation de mon besoin
d’exister ou de courir. Je partais le matin dans l’été éclatant.
    — Maman, où il va ? criait Christiane.
    J’étais loin déjà, libre, le collège ne rouvrait que dans
plusieurs semaines, je pouvais donc vagabonder dans la ville qui n’était pas
tout entière reconquise par la paix. Les jardins étaient encore fermés par de
longues traînées de fil de fer barbelé. Des têtes de mort peintes sur des
pancartes jaunes, un point d’exclamation après les lettres noires ACHTUNG MINEN ! m’attiraient.
    J’avais l’audace de l’inconscience, le goût du défi. Pour un
casque abandonné au milieu des cactus je risquais sans doute la vie. Personne
pour me retenir. Catto travaillait, lavait en échange de quelques francs des
bouteilles chez un marchand de vin. Il portait un tablier de toile bleue auquel
il essuyait ses mains rougies, ses avant-bras musclés.
    — Merde, tu fais rien ? disait-il, t’en as de la
chance. Et cette fille ?
    Julia, Danielle, Paul, Julien avaient quitté la ville pour
les maisons de campagne de l’arrière-pays. J’avais raccompagné Julia jusqu’à sa
porte. Elle s’y était adossée, et je tenais la main de bronze du heurtoir,
glacée.
    — Nous allons à Cabris, disait-elle. Il fait moins
chaud. Viens nous voir. Vous ne partez pas, vous ?
    Je me dérobais. Nouveaux mensonges. À chaque question je craignais
un piège. Avais-je dit

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