No Angel
raison.
En réalité, Slats subissait effectivement de plus fortes pressions que nous, mais nous n’étions pas prêts à le reconnaître. Nous ne percevions que nos souffrances. Nous avions tous les deux jeté l’empathie aux orties. Il ne restait que l’orgueil, la détermination et la fidélité.
C’est à peu près à cette période que j’ai commencé de prendre de l’Hydroxycut.
L’Hydroxycut – produit coupe-faim qui a également un effet énergisant – m’aidait à me concentrer sur ce à quoi j’étais confronté. Ce médicament était pratique : il était en vente libre et je pouvais avaler les cachets n’importe quand. On recommandait de ne pas en prendre plus de six par vingt-quatre heures. J’ai commencé par cette dose.
J’avais besoin d’énergie parce que je m’épuisais. La vie des flics infiltrés n’est pas une partie de plaisir. Je me levais tous les matins à sept heures, relisais les notes de la veille au soir ou transcrivais les enregistrements d’un de mes magnétophones. Mes observations ne pouvaient être bâclées ou imprécises ; tous les faits devaient y être indiqués. Puis je m’occupais de mes notes de frais et les calculs devaient tomber juste, au centime près. J’enregistrais tout – boissons, essence, cigarettes, café, nourriture, drogue, armes, cotisations –, absolument tout. Puis je contactais les suspects – parfois quelques-uns roupillaient au salon tandis que je rédigeais mes rapports derrière la porte de ma chambre fermée à clé –, j’organisais des rencontres ou des transactions pour la journée ou la semaine. Ensuite j’appelais Slats et faisais le point avec lui. Plus tard, je remettais mes notes et les preuves matérielles à un agent de l’équipe. Après, je faisais la tournée, rencontrais les gars, fréquentais les bars… être vu est un travail en soi. Les rendez-vous prévus, la réalisation des transactions préparées, les visites aux clubhouses et les bavardages venaient ensuite. Parfois j’allais à Bullhead et revenais dans la journée, ou bien je faisais deux cents kilomètres à moto sur les périphériques de Phoenix. Continuellement, j’appelais Slats, mais aussi Bad Bob, Smitty, Joby et tous ceux qui jouaient un rôle dans l’affaire. Pendant que je déconnais avec les gars, mon esprit fonctionnait sans relâche, élaborait de nouveaux plans et moyens d’asseoir ma crédibilité. Le soleil se couchait, la chaleur tombait, la nuit commençait. Je sortais et, malgré l’alcool, je m’efforçais de rester relativement lucide au cas où JJ, Timmy, Pops ou moi serions démasqués. Nous étions presque continuellement en danger de mort et notre formation nous préparait à gérer cette situation, mais on s’épuise lorsqu’on y est exposé jour après jour. Je rentrais, me signais, fumais des cigarettes, buvais du café, griffonnais des notes et des aide-mémoire, puis j’essayais de dormir quelques heures avant de remettre ça le lendemain.
Ce n’est pas un hasard si je me mis à prendre de l’Hydroxycut après ma dispute avec Slats. J’étais à la limite de la rupture, mais il fallait que je continue… mon engagement, mon ego et ma volonté m’empêchaient de renoncer. Ma famille commençait à me haïr – si elle ne le faisait pas déjà depuis longtemps –, Slats me faisait chier, les HA me faisaient chier davantage encore, et j’étais responsable de la sécurité de mon équipe. C’était comme Un jour sans fin, où le héros vit continuellement la même journée, à ceci près qu’on me tuerait si on me démasquait… voilà tout. L’Hydroxycut m’apportait l’énergie que mes trois Venti latte du Starbucks, mes deux paquets de Marlboro Light et ma demi-douzaine de Red Bulls quotidiens ne parvenaient pas à me fournir. Je savais que les cachets mettaient ma santé en danger – d’ailleurs tout ce que je faisais à cette époque était mauvais pour ma santé –, et je savais aussi qu’ils me feraient passer pour un camé, mais je m’en fichais.
De plus notre statut était flottant. Bad Bob nous avait interdit provisoirement de porter nos blousons et cela m’inquiétait. J’avais besoin de faire quelque chose pour le convaincre que j’étais enraciné dans ce que je prétendais être, donc je décidai de me faire tatouer les bras. J’en avais envie depuis longtemps et je savais que cela renforcerait ma crédibilité, parce que la plupart des flics n’acceptent pas de se
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