No Angel
gauche commençait de me faire mal. Je me donnai plusieurs gifles, tentai à nouveau de marcher, touchai mon visage afin de m’assurer qu’il était toujours là. Il l’était. J’allai dans la cuisine. Je pris mes clés de voiture. Je sortis, me laissai tomber dans la Cougar. Il n’y avait personne. Timmy et Pops étaient avec leur famille, JJ en week-end. Je restai immobile, les mains sur la poitrine, le souffle court. Il y avait un hôpital à proximité. Je lançai le moteur, engageai la transmission et partis.
Je me rendis aux urgences mais, une fois devant, je restai dans la voiture. J’avais toujours mal à la poitrine mais la tête me tournait moins. En regardant les lumières de l’hôpital, je compris que, si j’y entrais et si Slats ou quelqu’un d’autre l’apprenait, la mission serait terminée. Je respirai profondément dix fois de suite. Je me persuadai que j’allais bien, que j’avais connu pire sur le terrain de football à l’époque où je jouais. Je me souvins d’un jour où j’avais été plaqué si violemment que je ne distinguais plus la droite de la gauche. Comme je n’étais pas du genre à laisser un défenseur contempler avec satisfaction mon corps étendu, je me redressai et regagnai la ligne. Quelqu’un me tapa sur l’épaule, me montra l’extrémité opposée du terrain et dit :
— Dobyns, ce n’est pas la bonne ligne, mec.
C’était le type qui m’avait plaqué, l’arrière central. J’étais avec la défense, pas avec l’attaque. Il rit à s’en décrocher la mâchoire. Je le regardai avec de grands yeux et courus jusqu’à la ligne de touche pour respirer des sels.
Penser à cette époque me calma. Je me moquai de moi-même. Je compris ce qui m’avait mis dans cet état. Les cachets. Mon cœur cessa de battre à toute vitesse. Je respirai à nouveau profondément à dix reprises. Je baissai la vitre et recommençai. J’engageai la transmission et retournai au mobile home, conclus que j’avais eu une crise d’angoisse. Une fois arrivé, j’allai dans la salle de bains, j’emplis le lavabo d’eau froide et j’y plongeai la tête. Puis je versai les Hydroxycut dans les toilettes et tirai la chasse. Je n’en prendrais plus.
35
BADGÉS
Mai-juin 2003
Désormais, il faudrait que les Starbuck, les Red Bull et les clopes suffisent.
Sans les cachets, mes occupations quotidiennes devinrent moins éprouvantes. Je ne m’en apercevais pas quand j’en prenais, mais ils réduisaient en quelque sorte mon champ visuel. Le plus souvent c’est un avantage, sinon une nécessité, lorsqu’on est infiltré mais, dans mon cas, ce n’était plus nécessaire. Je n’avais plus besoin de tromper personne. Je ne me sentais pas seulement invincible, je l’étais. En réalité, plus je pénétrais profondément dans le club, plus j’étais en sécurité. Les gars du Carré ne pouvaient le comprendre, mais plus les Angels me faisaient confiance et plus j’étais protégé. Je n’avais pas besoin de l’équipe de soutien parce que les Hells Angels veillaient sur moi. C’était devenu clair comme de l’eau de roche quand j’avais jeté les Hydroxycut dans les toilettes. La nervosité fébrile due aux cachets disparut rapidement et fut remplacée par quelque chose que je n’avais pas éprouvé depuis des mois : la concentration.
Le quotidien demeura inchangé mais, après la crise d’angoisse, mon but ultime se cristallisa : j’allais faire tout mon possible pour devenir Hells Angel.
Rapidement.
L’idée qui avait pris racine dans mon esprit sous l’influence des cachets se précisa. Elle était simple et reposait sur une constatation : du point de vue des Hells Angels, la violence est pouvoir. Je décidai d’appliquer leurs règles afin de prouver définitivement ma valeur.
J’allais devenir violent.
Je ne parlai de la crise d’angoisse à personne. Nul ne devait soupçonner que je risquais de craquer.
Mais nous craquions tous.
JJ, sportive, qui ne fumait plus depuis sept ans à son arrivée sur l’affaire, en était à un paquet ou plus par jour et avait pris quinze kilos. Timmy passait tous ses moments de liberté chez lui, rechargeait ses batteries auprès de sa famille. Pops était maigre, voûté, marqué par cinquante années d’une existence difficile. Les agents de l’équipe en avaient assez de nous couvrir. Je m’en fichais. À cette époque, je me contentais de téléphoner à Slats, de lui dire où j’étais et
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