No Angel

dis que j’allais rester un moment, au cas où. Il répondit d’accord et raccrocha. J’ouvris le frigo, préparai un sandwich à la dinde avec du fromage légèrement moisi et du ketchup, puis je m’installai dans le séjour et restai dans le noir. Je mangeai tranquillement et, quand j’eus terminé, je fermai les yeux.
    Je compris que je me ferais taper sur les doigts, dans l’avenir, à cause de cette danseuse. Je me vis à la barre des témoins, face à un feu roulant de questions. J’expliquerais au tribunal que les agents infiltrés se retrouvent souvent dans des situations qui les contraignent à mettre en question leur éthique, leur moralité et que, dans ce cas précis, j’avais pris une mauvaise décision, que je m’étais ensuite efforcé de corriger sans vraiment y parvenir. Mais j’expliquerais aussi au tribunal que je n’avais pas eu de relations sexuelles avec la danseuse et ce serait la vérité vraie. Je savais qu’on me considérerait comme responsable. Mais les critiques et les reproches sont le prix des activités d’infiltration.
     
    Ce soir-là, Bob donna à Timmy des invitations pour les autres fêtes d’octobre. Le 24, nous irions au rassemblement de soutien à Mesa, et le 26 à la célébration de son anniversaire. Comme promis, Timmy vint avec sa « petite amie », une détective infiltrée de la police de Phoenix.
    Il y avait des types que nous connaissions et d’autres qui nous étaient inconnus. Outre les membres de Mesa, il y avait John « Joanie » Kalstedt, président du chapitre de Phoenix, George « Joby » Walters, l’Angel de Skull Valley qui était présent à Laughlin, et une vingtaine de membres dont l’écusson inférieur indiquait Alaska, New York, Connecticut, Caroline du Nord, Colorado et Belgique. S’y trouvaient aussi des membres californiens de San Fernando, Dago et Berdoo* (San Bernardino), et des représentants d’autres clubs de l’Arizona, liés aux Angels. Neuf hommes au moins, hormis nous, étaient armés. Joby Walters était du nombre.
    Bad Bob nous présenta. On fit la connaissance de tout le monde. À un moment donné, j’étais en compagnie de Bad Bob, de Bruno, des Spartans, et de « Dutchman » Keith, des Lost Dutchmen. On bavardait de tout et de rien quand je m’aperçus que Bob fixait ma poitrine.
    Aussi détendu que possible, je demandai :
    — Pourquoi tu regardes mes nichons, Bob ?
    Ce fut à peine s’il esquissa un rire. Bruno et Keith attendirent sa réaction avant de faire de même. Je restai immobile.
    — J’ai remarqué que tu avais un nouveau badge : JHLC.
    — Jésus hait les gonzesses. C’est la devise des Solo Nomads.
    — Je crois qu’il t’en faudrait d’autres. Je crois que tu devrais porter un écusson de soutien aux Hells Angels, comme ces gars.
    Il désigna Bruno et Keith, qui regardèrent leur blouson. Ils étaient si ridicules que je dus me retenir de me moquer d’eux.
    Je ne souris pas. Je dis à Bob, fermement mais respectueusement :
    — Je peux pas, Bob. Je suis un Solo et je mettrai jamais le nom d’un autre club sur mon blouson. C’est un blouson des Solos, tu piges ?
    Je voulais dire que le blouson n’était pas à moi, qu’il appartenait à mon club, tout comme ceux des HA appartenaient aux Angels, pas aux types qui les portaient. Je voulais également signifier que je n’étais pas comme Bruno et Keith : contrairement à eux, je ne ferais pas le beau devant les Angels. C’était ridicule, mais j’essayais de présenter les Solos comme les égaux des Angels. Je disais aussi que la fidélité était ce qui comptait le plus pour moi, et que je n’échangerais jamais la fidélité à mon club contre l’allégeance à un autre.
    Je montrai les gars de la tête et ajoutai :
    — Ces types, ils ont décidé de vous soutenir en portant ces badges. Moi, je vous soutiens avec ça.
    J’écartai le pan de mon blouson, dévoilai le Glock 19 qui ne me quittait jamais. Bob sourit et je fis de même. Je me tournai vers Bruno. Il avait rougi. Keith demeura impassible alors que je venais de le rabaisser.
    Joby passa vers nous au moment où je terminais de parler. Il m’adressa un signe de la tête. Il avait apparemment entendu et apprécié.
    Bien.
    Quelques minutes plus tard, Bob annonça qu’on allait tous au Spirits.
    On partit. Nous n’avions jamais roulé avec un aussi grand nombre d’Angels. En tête, les gars de Mesa formaient un groupe compact, mais dans la file