No Angel
tout de même l’effet d’un sacré client. En plus, ce qu’il disait était intelligent.
La femme en jean trop collant s’était approchée d’un groupe d’Angels qui se tenaient près de nous. Elle mendiait une dose de meth. Sa voix était stridente, mais elle tenait des propos pitoyables. Bad Bob sortit de la salle réservée, suivi par la femme tatouée. Son visage était crispé et rouge. En passant, il me regarda et fit :
— Merde, Bird !
Il reniflait très fort et ses yeux étaient larmoyants. La femme tatouée riait. Bob lui posa les mains sur les fesses.
La camée en jean trop collant, pressentant la proximité de bonne meth, se remit à mendier. Joby grimaça, mais ne tint aucun compte d’elle.
— Il y a quelques mois, le Chef m’a envoyé à Kingman. Il nous faut davantage de monde dans ce coin.
Je supposai que le Chef n’était autre que Ralph « Sonny » Barger.
Je dis :
— Ouais, j’ai entendu dire qu’il y avait des Mongols à Kingman.
— Moi aussi. Il paraît qu’il y a quatre ou cinq de ces fils de pute dans ce coin.
— Ils ont rien à y faire, intervint Timmy.
— Exact, bordel de merde, s’écria Joby.
Le simple fait de penser à eux le mit en colère.
La camée glapit :
— J’ai besoin d’un rail. Quelqu’un a un rail ?
Joby poursuivit :
— Je tirerais sur ces fils de pute à vue. J’en ai rien à foutre. Sur les marches du tribunal ou dans le désert, si je vois une de ces salopes de Mongols, je la descends et je vends sa bécane à la casse. J’en ai absolument rien à branler.
Je le pris au sérieux.
La camée, qui avait échoué avec tout le monde, se tourna vers nous. Joby l’aperçut du coin de l’œil. Elle fléchit légèrement les genoux puis se redressa, les mains jointes en un geste suppliant. Son visage était rouge et fatigué. Elle avait des poches sous les yeux et les dents pourries. Elle avait sûrement été jolie, avant la meth. Pops prit la direction de l’intérieur. On voyait qu’il était écœuré. Il avait trop souvent croisé ce type de femme. Timmy et moi on regardait Joby.
La femme prononça deux mots : j’ai besoin. Puis, dans un mouvement souple, Joby se tourna vers elle, dégaina le semi-automatique .380 qu’il portait à la ceinture et posa le canon sur son front. Elle se tut et loucha.
D’une voix soudain devenue grave, Joby aboya :
— Je te tuerai, salope, si tu nous laisses pas immédiatement tranquilles, moi et mes frères !
Il n’y eut plus d’autre bruit que la musique. Le temps parut s’arrêter. Quelques Angels jetèrent un coup d’œil sur Joby, d’autres ne prirent même pas cette peine. Pour tous, la femme avait cessé d’exister. C’était comme si Joby braquait son arme sur un fantôme, ou sur une tache de soleil dans une pièce.
Joby était sérieux et, apparemment, familier de l’homicide. Il fallait que la femme s’en aille, sinon il tiendrait promesse. J’en pris note.
Comme nous étions flics, Timmy et moi ne pouvions pas laisser faire. Je décidai sur-le-champ, en cas de besoin, de saisir le bras de Joby et de l’empêcher de tirer. Je lui dirais alors qu’elle n’en valait pas la peine, et visiblement c’était le cas. J’espérais qu’il aurait le bon sens de m’entendre et qu’il me pardonnerait l’injure consistant à toucher un Hells Angel sans autorisation. Joby poursuivit :
— Tu t’adresses à un Hells Angel, salope. Leçon numéro un : on donne pas, on prend. Si tu nous demandes encore quelque chose, à moi et à mes frères (il appuya l’arme plus fort sur son front) tu pourras même plus regretter de l’avoir fait.
Heureusement pour nous et la camée, une autre femme se précipita, la prit par le bras et l’entraîna. Elle disparut et je ne la revis pas.
La musique n’avait pas cessé et chacun reprit ses occupations.
Après le départ de la femme, Joby se tourna vers nous et rengaina son arme. Il dit calmement :
— Je vais vous donner mon numéro de portable. Quand vous passerez à Kingman, appelez-moi.
On répondit qu’on le ferait.
Joby s’en alla. On resta dans la cour. Une femme que je n’avais pas vue sortit du clubhouse en roulant des hanches. Cinq Angels que je ne connaissais pas la suivirent. Bad Bob apparut en queue de file et nous tira la langue. Il leva le poing, tira ce sifflet de train imaginaire. Début du gang bang de la nuit. On s’en alla peu après.
18
CINQ ANS DANS LE DÉSERT
25 et 26 octobre
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