No Angel
arrêterait Rudy Kramer.
Soir de fête. Le vrai paradis des Hells Angels.
Les flics locaux sécurisèrent la rue. C’était un spectacle comique. D’un côté du barrage, il y avait des voitures de patrouille dont les gyrophares rouges déployaient leurs rais lumineux, et des agents en uniforme nerveux. Du côté opposé, les Hells Angels, les prospects et les hangarounds étaient plus nombreux et détendus. Installés sur des chaises de jardin pliantes, appuyés sur leur moto ou assis sur le bord du trottoir, les gars buvaient de la bière. Du point de vue des Hells Angels, c’était l’illustration parfaite de leur existence hors du système, l’image de leur statut à part. Les flics étaient chargés de protéger le monde extérieur contre les Hells Angels, mais avaient aussi pour tâche de protéger les Angels contre le monde extérieur. D’une certaine façon, ce soir-là, les flics travaillaient pour les Angels.
J’arrivai trois quarts d’heure après Pops, Timmy et son équipière. Un prospect que je ne connaissais pas m’arrêta à la hauteur du barrage de la police. Les flics me regardèrent du coin de l’œil. Je les saluai de la tête, ouvertement méprisant. Ils en avaient l’habitude. Ce serait la même chose pendant toute la soirée.
Je montrai mon invitation au prospect, lequel me fit entrer. À la porte du clubhouse, on me tamponna la main.
C’était carrément un congrès. Grondement incessant des motos, martèlement continuel de la musique. La quantité de cuir aurait permis de ressusciter un troupeau de vaches et le tissu de jean de fabriquer le plus grand pantalon du monde. Toutes les formes, couleurs et longueurs de barbe étaient représentées, du style ZZ Top à la barbiche. L’odeur âcre de la marijuana était omniprésente, comme si la fumée sortait des bouches d’égout de la rue ou des bouches d’aération du bâtiment, comme si on marchait sur un épais tapis de boutons parfumés. Des femmes riaient, des hommes faisaient la gueule ; des hommes riaient, des femmes faisaient la gueule. La bière était l’eau de la vie, le whisky le plus fidèle élixir de l’homme. Une tente de cirque, qu’un voisin avait autorisé à dresser dans son jardin, soulignait l’aspect surréaliste de la fête.
À mon arrivée, Smitty était près de l’entrée. Il me donna une accolade vigoureuse. Je le félicitai, ainsi que tous les Angels, et dis que tout semblait bien se passer. Il m’entraîna à l’écart.
— Bird, faut que je te dise quelque chose que je viens d’apprendre. Un de mes contacts dans la police de Bullhead m’a dit qu’on enquêtait sur vous, là-bas. Ils veulent absolument savoir ce que tu mijotes. Il y a une équipe qui ne travaille que sur vous. Ils distribuent des affichettes avec ta photo et tout. Donc sois prudent, tu vois ? Tu piges ?
Je lui saisis le bras. Je n’avais jamais entendu parler de cela et ma reconnaissance était presque sincère. Le lendemain, je demanderais à Shawn Wood, de la Sécurité publique de l’Arizona, de vérifier.
Je restai quelques minutes avec la bande de Bullhead, puis je pris congé et rejoignis mon équipe.
Timmy et Pops étaient en compagnie de James, un Red Devil. Timmy me raconta plus tard qu’ils avaient parlé d’achat de grosses quantités de marijuana, de trafic d’armes et de voitures volées. James avait donné son numéro de portable à Timmy et lui avait demandé de l’appeler la semaine suivante. Timmy avait répondu qu’il le ferait sans faute.
James s’éloigna et on resta seuls pendant quelques minutes. On était près du bar, dans la salle commune du clubhouse. Une strip-teaseuse aux seins nus, en slip doré, et une autre vêtue d’un T-shirt déchiré orné d’une Screaming Eagle {38} riaient à l’extrémité opposée. Ghost, qui s’était cassé la jambe en passant par-dessus le guidon dans un accident, ainsi que Rockem et Sockem, bavardaient avec elles.
Dennis, Dolly et un autre couple d’un peu plus d’une cinquantaine d’années se joignirent à nous. Dennis dit qu’il s’agissait de Jojo et Tracey Valenti. Le type était monstrueux. Il faisait environ cent cinquante kilos, sa tête chauve était plus petite que son cou, lequel était plus petit que ses biceps. Une tête de mort de la taille d’un donut était tatouée au-dessus de son oreille droite. Sa barbe broussailleuse était aussi large que son visage. Ses joues étaient rasées. Il portait des poignets en
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