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Nord et sud

Nord et sud

Titel: Nord et sud Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Elizabeth Gaskell
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cela viendrait aussi naturellement que des pierres précieuses
sur la robe d’un monarque, et on leur prêterait aussi peu d’attention pour leur
valeur intrinsèque. Être l’élue de John eût distingué une souillon de cuisine et
l’eût mise au-dessus du reste du monde. Somme toute, Miss Hale n’était pas
si mal. Si elle avait été une fille de Milton, Mrs Thornton l’eût trouvée fort
à son goût. Elle avait du piquant, du goût, du caractère et de l’originalité. Elle
avait certes aussi de regrettables préjugés, et était fort ignorante, comme on pouvait
s’y attendre chez une fille élevée dans le Sud. Une comparaison étrange entre elle
et Fanny, peu flatteuse pour cette dernière, se fît jour dans l’esprit de
Mrs Thornton, qui pour une fois parla durement à sa fille et eut pour elle
des mots franchement désagréables. Alors, en manière de pénitence, elle prit les Commentaires de Henry et essaya de fixer son attention dessus au lieu de
se consacrer à son inspection du linge de table, une tâche dont elle tirait plaisir
et fierté.
    Enfin, son pas ! Elle l’entendit alors qu’elle finissait
de lire une phrase : son œil la parcourut, sa mémoire aurait pu la répéter
machinalement mot à mot, mais en même temps, elle entendait son fils ouvrir la porte
d’entrée. Son ouïe aiguisée lui permettait d’interpréter chacun des sons produits
par ses mouvements : là, il se tenait devant le porte-chapeaux, là, il était
à la porte de la pièce. Pourquoi s’arrêtait-il ? Il fallait qu’elle sache le
pire.
    Pourtant, elle ne leva pas la tête de son livre ; son fils
s’approcha de la table et s’immobilisa, attendant qu’elle ait fini le paragraphe
qui semblait l’absorber. Elle fit un effort et releva la tête.
    — Alors, John ?
    Il savait ce que voulaient dire ces deux mots. Mais il s’était
lui aussi armé de courage. Il aurait volontiers voulu répondre par une boutade ;
son cœur eût pu en trouver une au fond de son amertume ; mais sa mère méritait
mieux de sa part. Il alla se placer derrière elle, de façon à ce qu’elle ne puisse
voir son expression, lui fit pencher la tête en arrière et baisa son front gris
et rigide comme la pierre en murmurant :
    — Personne ne m’aime, personne ne se soucie de moi, sauf
vous, maman.
    Il se détourna et s’appuya contre le manteau de la cheminée,
tandis que des larmes viriles lui montaient aux yeux. Elle se leva – elle chancela.
Pour la première fois de sa vie, cette forte femme chancela. Elle posa les mains
sur les épaules de son fils ; elle était grande : elle scruta son visage
et le força à la regarder.
    — L’amour d’une mère est un don de Dieu, John. Il dure éternellement.
L’amour d’une jeune fille est comme une bouffée de fumée, il change à chaque souffle
de vent. Alors, elle n’a pas voulu de toi, mon garçon, c’est cela ?
    Elle serra les dents et les montra, comme le font les chiens,
dans un rictus qui en découvrit toute la rangée. Il secoua la tête.
    — Je ne suis pas digne d’elle, maman. Je le savais.
    Elle grommela entre ses dents fermées des mots qu’il ne saisit
pas, mais à son regard, il comprit que c’était une malédiction qui, si elle n’était
pas formulée grossièrement, n’en avait pas moins le pouvoir venimeux des pires invectives.
Cependant, le cœur de Mrs Thornton bondit de joie en apprenant que son fils
était à nouveau à elle.
    — Maman, dit-il précipitamment, je ne veux pas entendre
un seul mot contre elle. Je vous en prie, épargnez-moi ! J’ai le cœur déchiré
et je n’ai plus de force. Je l’aime toujours ; je l’aime plus que jamais.
    — Et moi je la déteste, dit Mrs Thornton d’une voix
sourde et féroce. J’ai essayé de ne pas la détester quand elle s’est mise entre
nous deux, car je me disais qu’elle te rendrait heureux ; et que pour cela,
j’aurais donné ce que j’avais de plus précieux. Mais maintenant, je la déteste parce
qu’elle te fait souffrir. Oui, John, il est inutile de vouloir me cacher ta blessure.
Pour moi qui t’ai porté dans mon sein, ton chagrin est insupportable. Si toi tu
ne détestes pas cette fille, moi, je la hais.
    — Alors, maman, vous ne me la ferez qu’aimer davantage encore.
Si vous la traitez injustement, il m’appartiendra de contrebalancer votre injustice.
Mais pourquoi parler d’amour ou de haine ? Elle ne m’aime pas, c’est assez ;
c’en est trop.

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