Nord et sud
tabouret
bas au chevet de sa mère. En le voyant apparaître, son cœur frémit, si celui de
Mr Thornton resta calme. Mais il l’ignora et ce fut à peine s’il prêta attention
à Mr Hale : il se dirigea droit vers Mrs Hale, son panier à la main,
et s’adressa à elle sur ce ton doux et bas si touchant chez un homme en pleine santé
lorsqu’il parle à un malade fragile :
— J’ai rencontré le docteur Donaldson, madame. Il m’a dit
que les fruits étaient indiqués pour vous. J’ai pris la liberté – la grande liberté
– de vous en apporter qui m’ont paru beaux.
Mrs Hale fut excessivement touchée ; excessivement
contente ; et toute frémissante d’impatience. Mr Hale, en peu de mots,
exprima une gratitude plus profonde encore.
— Va chercher une assiette, Margaret, une corbeille, quelque
chose, enfin.
Margaret se leva et resta près de la table, hésitante, car elle
craignait, en bougeant ou en faisant le moindre bruit, d’attirer l’attention de
Mr Thornton sur sa présence dans la pièce. Elle se dit qu’il serait gênant
pour tous deux d’être obligés de se faire face ; et elle crut que dans sa hâte,
il ne l’avait pas remarquée, d’abord parce qu’elle était assise sur un siège bas,
et maintenant parce qu’elle était cachée par son père. Comme s’il ne sentait pas
dans tout son être sa présence, bien que son regard ne l’eût pas effleurée une seconde !
— Je dois partir, dit-il, je ne puis rester davantage. Si
vous voulez bien me pardonner la liberté que j’ai prise, mes manières un peu rudes,
trop brusques je le crains – je m’efforcerai d’être plus civil la prochaine fois.
Vous me permettrez de vous apporter encore quelques fruits si j’en vois qui sont
appétissants. Je vous souhaite le bonsoir, Mr Hale. Au revoir, madame.
Et il sortit. Pas un mot, pas un regard à Margaret. Elle crut
qu’il ne l’avait pas vue. Sans rien dire, elle alla chercher une assiette et sortit
délicatement les fruits de la corbeille, les prenant délicatement du bout de ses
doigts effilés. C’était généreux de sa part d’avoir apporté cela, pensa-t-elle,
surtout après ce qui s’était passé hier !
— Oh, quel délice, dit Mrs Hale de sa voix faible.
Comme c’est gentil à lui d’avoir pensé à moi ! Margaret, ma chérie, goûte ces
raisins ! N’est-ce pas là une attention délicate !
— Oui, répondit posément Margaret.
— Margaret ! s’exclama Mrs Hale d’un ton plaintif,
rien de ce que fait Mr Thornton ne trouve grâce à tes yeux. Jamais je n’ai
vu quelqu’un qui ait d’aussi forts préjugés.
Mr Hale, qui s’était mis en devoir de peler une pêche pour
sa femme, s’en coupa un petit morceau et dit :
— Si j’avais des préjugés contre lui, un cadeau comme celui
de ces fruits délicieux les ferait disparaître. Je n’ai jamais goûté de fruits pareils
depuis mon enfance, non, même dans le Hampshire. Il est vrai que les enfants trouvent
bonne toute espèce de fruit. Je me souviens de m’être régalé avec des prunelles
et des pommes sauvages. Tu te souviens des groseilliers paillassonnés le long du
mur ouest dans le jardin de la maison, Margaret ?
Si elle s’en souvenait ! Ne se souvenait-elle pas de chaque
tache laissée par les intempéries sur ce vieux mur de pierre, des lichens gris et
jaunes qui y dessinaient comme une carte, et des petits géraniums qui poussaient
dans les fentes ? Les événements des deux derniers jours l’avaient secouée ;
sa vie présente la forçait à puiser fortement dans ses réserves de courage ;
et ces derniers mots de son père, en lui rappelant les temps heureux de sa vie d’autrefois,
la touchèrent au vif : elle tressaillit, laissa tomber son ouvrage sur le sol
et quitta vivement la pièce pour se retirer dans sa petite chambre. A peine avait-elle
laissé libre cours au premier des sanglots qui l’étouffaient qu’elle s’avisa de
la présence de Dixon, debout devant sa commode, cherchant manifestement quelque
chose.
— Grand Dieu, Miss, vous m’avez fait peur ! Madame
ne va pas plus mal, dites ? Il se passe quelque chose ?
— Non, non, Dixon, rien. Je me conduis comme une sotte.
J’aurais besoin d’un verre d’eau. Qu’est-ce que vous cherchez ? Ce sont mes
mousselines qui se trouvent dans ce tiroir.
Sans répondre, Dixon continua à fouiller. Un parfum de lavande
s’échappait du tiroir, embaumant la chambre.
Elle finit par
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