Nord et sud
vie. Je leur ai dit – à mes voisins immédiats,
s’entend, parce que je ne suis pas un orateur – combien j’avais apprécié ce repas ;
et à partir de ce moment-là, toutes les fois qu’il y avait quelque chose de bon
au menu, j’étais sûr que ces hommes allaient me dire : « Patron, il y
a du ragoût de mouton à déjeuner aujourd’hui. Vous voulez pas venir ? »
S’ils ne me l’avaient pas demandé, je ne me serais jamais imposé, pas plus qu’il
ne me serait venu à l’idée d’aller au réfectoire d’une caserne sans invitation.
— J’imagine qu’en votre présence, la conversation de vos
hôtes a été plus contrainte. Ils ne peuvent pas dire du mal des patrons pendant
que vous êtes là. Je suppose qu’ils se vengent les jours où il n’y a pas de ragoût.
— Ma foi, jusqu’à présent, nous avons évité les questions
litigieuses. Cependant, si l’une des anciennes querelles venait à surgir, je dirais
certainement ce que j’ai sur le cœur un jour de ragoût. Mais vous avez beau être
d’ici, vous les connaissez mal, les habitants du Darkshire. Ils ont un grand sens
de l’humour et une façon de parler haute en couleur ! Je commence à bien en
connaître quelques-uns, et ils parlent assez librement devant moi.
— Rien de tel que de manger pour mettre les hommes sur un
pied d’égalité. La mort ne soutient pas la comparaison. Le philosophe meurt sentencieusement,
le pharisien avec ostentation, les simples de cœur humblement, les pauvres idiots
aveuglément, tandis que le moineau, lui, tombe au sol. Le philosophe, l’idiot, le
publicain et le pharisien mangent tous de la même façon, pourvu qu’ils aient tous
une bonne digestion. Vous voyez que je vous rends théorie pour théorie !
— Mais je n’ai aucune théorie. Je déteste les théories.
— Je vous demande pardon. Pour ma peine, voulez-vous accepter
un billet de dix livres pour contribuer à vos achats de provisions et régaler ces
pauvres diables ?
— Merci, je préfère refuser. Ils me paient un loyer pour
le four et les cuisines à l’arrière de l’usine, et devront payer un peu plus pour
la nouvelle salle à manger. Je ne veux pas que ceci devienne une entreprise charitable.
Je ne veux pas de dons. Une fois le principe admis, il y aurait des gens qui viendraient
voir, feraient des commentaires, et gâcheraient la simplicité de l’entreprise.
— Quand il y a un nouveau projet, les gens parlent toujours.
Vous ne pouvez pas l’empêcher.
— Ce projet pourrait provoquer chez mes ennemis, si j’en
ai, beaucoup d’histoires à propos de la philanthropie ; mais vous êtes un ami,
et je suppose que par égard pour mon projet, vous garderez le silence. Ce n’est
pour l’instant qu’un nouveau balai, qui nettoie bien. Pourtant, à n’en pas douter,
nous ne tarderons pas à rencontrer quantité de pierres d’achoppement.
CHAPITRE
XVIII
Le départ de Margaret
« Le
plus petit objet auquel on dit adieu
N’a plus
sa petitesse à l’heure du départ. »
Elliott [100] .
Mrs Shaw se prit pour Milton d’un dégoût aussi violent que
possible pour quelqu’un d’aussi modéré qu’elle. Elle trouvait la ville bruyante
et enfumée ; les pauvres gens qu’elle observait dans les rues étaient sales,
les dames riches, trop habillées, et aucune des personnes qu’elle voyait, de haute
ou basse condition, ne portait de vêtements faits sur mesure. Elle était persuadée
que Margaret ne retrouverait jamais ses forces tant qu’elle y resterait ; et
redoutait pour elle-même une des crises de nerfs auxquelles elle était jadis sujette.
Margaret devait rentrer à Londres avec elle, et au plus vite. C’était là, sinon
la lettre, du moins l’esprit des propos qu’elle tint à Margaret, tant et si bien
que cette dernière, faible, fatiguée et brisée par la douleur, lui céda et promit
à contrecœur de se préparer à l’accompagner à Londres dès que le mercredi serait
passé, laissant à Dixon le soin de payer les factures, disposer des meubles et fermer
la maison. Avant ce mercredi, ce jour funèbre où Mr Hale devait être enterré,
loin des foyers qu’il avait connus dans sa vie et loin de sa femme, qui reposait
seule au milieu d’étrangers (c’était cela qui préoccupait le plus Margaret, car
elle pensait que si elle ne s’était pas laissé anéantir par cette stupeur écrasante
pendant les premiers
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