Nord et sud
heure !
Il s’écoula un certain temps avant qu’elle songeât à Margaret. Alors, elle se leva
précipitamment et se rendit dans la chambre de sa cousine. Dixon était en train
de ranger dans un sac quelques objets de toilette, et Margaret mettait en hâte son
chapeau, le visage ruisselant de larmes et les mains si tremblantes qu’elle parvenait
à peine à en nouer les brides.
— Oh, ma petite Margaret, quel choc ! Que fais-tu ?
Tu sors ? Cosmo est à ta disposition pour télégraphier ou faire ce que tu veux.
— Je vais à Oxford. Il y a un train dans une demi-heure.
Dixon s’est proposée pour m’accompagner. J’aurais d’ailleurs pu y aller toute seule.
Je veux revoir mon parrain. Et puis, peut-être va-t-il mieux et a-t-il besoin de
soins. Il a été comme un père pour moi. Tu ne m’empêcheras pas de partir, Edith.
— Mais si, voyons. Maman sera très contrariée. Viens lui
en parler, Margaret. Tu ne sais pas où tu vas. S’il avait une maison à lui, passe
encore ; mais un appartement dans un collège ! Va voir maman, et demande-lui
son avis avant de partir. Cela te prendra deux minutes.
Margaret céda, et manqua son train. La soudaineté de l’événement
choqua Mrs Shaw, qui eut une crise de nerfs, si bien que de précieuse minutes
furent perdues. Il y avait toutefois un autre train deux heures plus tard, et après
diverses discussions concernant les convenances, il fut décidé que le capitaine
Lennox accompagnerait Margaret, car la seule chose dont elle ne démordit pas fut
sa résolution de partir, seule ou non, par le prochain train, quoi qu’on puisse
dire sur les convenances. L’ami de son père était le sien et il était au seuil de
la mort. Cette pensée s’imposait à elle avec une telle force qu’elle fut la première
surprise par la résolution avec laquelle elle affirma son droit d’agir en toute
indépendance. Cinq minutes avant l’heure du départ, elle se trouva assise dans un
compartiment, face au capitaine Lennox. Ce fut un réconfort pour elle d’avoir entrepris
ce voyage, bien qu’elle apprît que Mr Bell était mort pendant la nuit. Elle
vit l’appartement qu’il avait occupé et l’associa désormais avec tendresse au souvenir
de son père et de son ami le plus cher et le plus fidèle.
Avant de partir, le capitaine et Margaret avaient promis à Edith
que si tout s’était passé comme ils le craignaient, ils seraient de retour pour
dîner ; aussi ne put-elle s’attarder comme elle le souhaitait dans la chambre
où était mort son père et elle dit un adieu silencieux au vieux visage doux et bon
de cet homme qui avait si bien su dispenser les mots aimables, les boutades et les
reparties spirituelles.
Pendant le voyage de retour, le capitaine Lennox s’endormit,
de sorte que Margaret put pleurer tout à loisir et réfléchir à cette année fatale
et à tous les chagrins qu’elle lui avait apportés. À peine avait-elle pris conscience
d’une perte qu’une autre survenait, non pour remplacer le chagrin causé par la précédente,
mais pour rouvrir les blessures à peine cicatrisées. Cependant, en entendant les
voix affectueuses de sa tante et d’Edith, les gazouillis joyeux du petit Sholto
à son retour, à la vue des pièces bien éclairées, de leur maîtresse si jolie malgré
sa pâleur, et de sa sollicitude sincèrement attristée, Margaret secoua le désespoir
presque superstitieux dans lequel elle était plongée et sentit que, même autour
d’elle, la joie et le bonheur avaient encore droit de cité. Edith lui donna sa place
sur le divan ; on montra à Sholto comment apporter avec précaution une tasse
de thé à tante Margaret ; et lorsqu’elle remonta se changer, elle fut capable
de remercier Dieu d’avoir épargné à son vieil ami une longue et pénible maladie.
Mais lorsque arriva la nuit, que toute la maison fut plongée
dans le silence, Margaret resta assise à contempler la beauté du ciel de Londres
à cette heure tardive, par ce soir d’été, et le léger reflet rose que projetaient
les lumières terrestres sur les nuages moelleux qui semblaient sortir de l’obscurité
chaude cernant l’horizon et flottaient tranquillement au clair de lune. La chambre
de Margaret était l’ancienne nursery de son enfance, lorsqu’elle était devenue une
petite fille et que ses sentiments et sa conscience s’étaient pleinement éveillés.
Pendant des soirées comme celle-ci, elle se souvenait de la promesse qu’elle
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