Nord et sud
s’était
faite alors de mener une existence aussi noble et courageuse que n’importe quelle
héroïne de roman, une vie sans peur et sans reproche * : elle avait eu
alors l’impression qu’il lui suffisait de la vouloir pour l’obtenir. Or elle avait
appris maintenant qu’il ne suffit pas de vouloir, mais qu’il faut aussi beaucoup
prier pour être véritablement héroïque. Elle n’en avait fait qu’à sa tête et elle
avait échoué. Et, juste conséquence de son péché, toutes les excuses qu’elle avait
eues, ainsi que la tentation qui l’avait poussée devaient rester à jamais cachées
à la personne dans l’opinion de laquelle elle était tombée si bas. Elle était finalement
face à face avec sa faute. Elle la connaissait parfaitement : le sophisme indulgent
de Mr Bell, qui avait affirmé que presque tous les hommes se rendaient coupables
d’actions équivoques, et que le motif ennoblissait le mal, n’avait jamais pesé très
lourd aux yeux de Margaret. Quant à la première pensée qu’elle avait eue, selon
laquelle, si elle avait pu tout prévoir, elle eût avoué la vérité sans hésiter,
elle lui paraissait à présent basse et indigne. Au reste, même à présent, son impatience
de voir sa réputation d’honnêteté partiellement blanchie aux yeux de Mr Thornton,
grâce aux éclaircissements que Mr Bell avait promis de lui donner, n’était
qu’une piètre compensation, maintenant que la mort lui avait rappelé ce que devait
être la vie. Même si le monde entier parlait, agissait ou se taisait avec des intentions
trompeuses, par souci de ménager les intérêts les plus chers et les vies les plus
précieuses, même si personne ne devait jamais savoir si elle avait été honnête ou
malhonnête et ajuster en conséquence son estime ou son mépris pour elle, ce soir-là,
seule et droite sous le regard de Dieu, elle pria qu’il lui donne la force de parler
et d’agir désormais en vérité.
CHAPITRE
XXIV
Où l’on respire la tranquillité
« Elle
arpente à pas lents la plage ensoleillée
Et s’arrête
souvent dans sa perplexité
Mais
le chagrin apaise et sanctifie la peur . »
Hood [114]
— N’est-ce pas Margaret qui hérite ? chuchota Edith
à son mari lorsqu’ils se retrouvèrent seuls dans leur chambre après le triste voyage
à Oxford.
Elle avait attiré vers elle la tête du capitaine et s’était mise
sur la pointe des pieds avant de poser sa question, en le suppliant de ne pas s’en
offenser. Mais le capitaine Lennox était tout à fait ignorant sur ce point ;
s’il avait entendu quelque chose à ce sujet, il l’avait oublié. Un professeur d’un
petit collège ne pouvait avoir grand-chose à léguer ; d’ailleurs, il n’avait
pour sa part jamais eu l’intention de faire payer une pension à Margaret, et deux
cent cinquante livres par an semblaient une somme extravagante, d’autant qu’elle
ne buvait pas de vin. Edith retomba sur ses pieds, déconfite : son roman venait
d’être réduit à néant.
Huit jours plus tard, fringante, elle s’avança vers son mari
et en faisant une grande révérence, annonça :
— J’avais raison et vous, tort, très noble capitaine. Margaret
vient de recevoir une lettre du notaire : elle est légataire universelle, les
legs se montant à environ deux mille livres, et le reste à quarante mille, si l’on
se base sur la valeur actuelle des propriétés à Milton.
— Vraiment ! Et comment prend-elle sa bonne fortune ?
— Oh, je crois qu’elle savait depuis longtemps qu’elle hériterait ;
mais elle ne se doutait pas qu’il s’agirait d’une fortune aussi considérable. Elle
est toute pâle et se dit effrayée par tout cela ; mais c’est de l’enfantillage,
vous savez, cela lui passera. Je l’ai laissée avec maman, qui l’accablait de félicitations,
et me suis éclipsée pour vous annoncer la nouvelle.
Il sembla entendu d’un commun accord que tout naturellement,
Mr Lennox serait désormais le conseiller juridique de Margaret. Elle était
si complètement ignorante de toutes les formalités nécessaires qu’elle était obligée
d’en référer à lui presque constamment. Il choisit son notaire ; il lui apporta
les papiers à signer. Jamais il n’était aussi heureux que lorsqu’il lui expliquait
ce que signifiaient les mystères de la loi.
— Henry, lui dit un jour Edith non sans malice, vous savez
l’issue que
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