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Nord et sud

Nord et sud

Titel: Nord et sud Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Elizabeth Gaskell
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meurt, et j’ai bien
peur qu’elle dure pas jusqu’à ce qu’on le sait, nos cinq pour cent, je flanquerai
cet argent à la figure des patrons en leur disant : « Le diable vous emporte,
vous et votre monde cruel ; vous me privez de la meilleure femme qu’a jamais
donné des enfants à un homme ! » Et écoute-moi, mon vieux, je vous en
voudrai à mort, à toi et à toute la bande du syndicat. Et même au ciel, je te courrai
derrière avec ma haine – ah, ça, tu peux en être sûr – si tu m’as fichu dedans.
Parce que ça a fait huit jours mercredi, Nicholas, et aujourd’hui, on est le mardi
de la deuxième semaine, tu m’avais dit qu’avant quinze jours, les patrons, ils viendraient
nous supplier de reprendre le boulot, au tarif qu’on aurait fixé. Ça va bientôt
les faire, les quinze jours, et notre p’tit Jack est couché, il a même plus la force
de pleurer. Seulement de temps en temps, il a les sanglots tellement qu’il a faim,
notre p’tit gars, oui, c’est comme je te le dis, mon vieux. Depuis sa naissance,
elle s’est jamais remise ; elle l’aime comme la prunelle de ses yeux – et c’est
bien ce qu’il est, parce qu’il va me les coûter, ces yeux-là, qui se fermeront pour
toujours. Ah, notre p’tit gars, qui m’a réveillé tous les matins avec des bisous
de sa petite bouche toute douce sur ma vilaine gueule, en cherchant un coin qui
pique pas – et il est là, qui crève de faim.
    De gros sanglots étouffèrent le pauvre homme. Nicholas releva
des yeux pleins de larmes et regarda Margaret avant de retrouver le courage de parler.
    — Attends, mon vieux. Ton chtiot, y va pas crever. J’ai
un peu de blé, et on va y acheter du lait et un pain de quatre livres, là tout de
suite. Ce qui est à moi est à toi, pardi, si t’as besoin. Mais va pas te décourager,
hein ? poursuivit-il en cherchant dans la théière l’argent qu’il avait mis
de côté. Je te fiche mon billet qu’on va gagner quand même. Encore une semaine à
tenir, et tu vas voir comment ils nous mangeront dans la main, les patrons, pour
qu’on y retourne, à l’usine. Et le syndicat – enfin, moi je m’y engage – veillera
à ce que t’aies assez pour manger, toi, ta femme et tes petiots. Alors te dégonfle
pas et va pas leur demander à travailler, à ces tyrans.
    À ces mots, l’homme se retourna, révélant un visage si blanc,
si hâve, si résigné et sillonné de larmes que son immobilité même fit pleurer Margaret.
    — Tu le sais bien, qu’il y a un tyran bien pire que les
patrons, qui dit : « Qu’ils crèvent de faim, et regarde-les crever de
faim, mais surtout, ne te retourne pas contre le syndicat. » Tu le sais très
bien, Nicholas, puisque t’en fais partie. Vous avez peut-être bon cœur, pris chacun
à part ; mais une fois mis ensemble, vous avez pas plus de pitié qu’un loup
affamé.
    Nicholas avait la main sur le verrou de la porte. Il s’arrêta
brusquement et fit face à Boucher, qui était sur ses talons.
    — Ah, ça, que Dieu me juge si je dis pas la vérité – si
je crois pas que j’agis comme il faut, pour ton bien, pour notre bien à tous. Si
je me trompe quand je crois avoir raison, c’est leur faute, à ceux qui m’ont laissé
mariner dans mon ignorance. J’ai réfléchi jusqu’à ce que ma cervelle en puisse plus.
Crois-moi, John, c’est la vérité. Et je te le répète, on a pas le choix. Faut avoir
confiance dans le syndicat. Je te garantis qu’on va gagner, tu verras si je me trompe !
    Ni Margaret ni Betty n’avaient soufflé mot. Elles n’avaient même
pas poussé le soupir que chacune, en regardant l’autre, attendait d’entendre sortir
du plus profond de son cœur. Bessy finit par dire :
    — Jamais j’aurais cru entendre le père invoquer encore Dieu.
Mais vous l’avez entendu ? Il a dit : « Que Dieu me juge ! »
    — Oui, répondit Margaret. Permettez-moi de vous apporter
un peu d’argent que j’ai mis de côté, et un peu de nourriture pour les enfants de
ce malheureux. Surtout, laissez-les croire que cela vient de votre père. Ce ne sera
pas grand-chose.
    Bessy se laissa aller sur le dossier de son fauteuil sans prêter
attention à ce que disait Margaret. Elle ne pleurait pas, mais sa respiration était
tremblante.
    — Mon cœur a plus de larmes, dit-elle. Ça fait dix jours
que Boucher me raconte ses peurs et ses soucis. C’est un pauvre gars, un faible,
je sais, mais c’est quand même un homme. Et j’ai beau

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