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Nord et sud

Nord et sud

Titel: Nord et sud Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Elizabeth Gaskell
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les cris des êtres aimés et sans ressources qu’ils laisseraient derrière
eux – et ils enviaient l’oiseau capable de nourrir ses petits avec le sang de son
propre cœur [46] .
Margaret sentait son âme se révolter contre Mr Thornton en l’entendant tenir
ces raisonnements : on eût dit que le commerce était tout et l’humanité, rien.
Elle eut quelque peine à le remercier de la prévenance dont il avait fait preuve
en venant chez eux ce soir-là pour mettre à la disposition de la malade toutes les
commodités que sa propre richesse ou la prévoyance de sa mère les avait poussés
à accumuler chez eux, et dont, d’après ce que lui avait dit le docteur Donaldson,
Mrs Hale serait susceptible d’avoir besoin. Il avait eu la délicatesse de sentir
que mieux valait lui faire cette proposition en privé. Sa présence, après les propos
qu’il avait tenus, sa façon de lui rappeler le sort fatal qui menaçait sa mère et
qu’elle espérait vainement pouvoir encore conjurer, tout ceci contribua à exaspérer
Margaret tandis qu’elle le regardait et écoutait ses propos. Pourquoi fallait-il
qu’il fût la seule personne, en dehors du docteur Donaldson et de Dixon, à partager
cet affreux secret qu’elle renfermait dans le coin le plus obscur et le plus sacré
de son cœur, n’osant y songer sans implorer le ciel de lui donner la force nécessaire
pour supporter de l’envisager ; un jour prochain viendrait où elle appellerait
sa mère, et l’obscurité vide et muette ne lui renverrait aucune réponse. Or il savait
tout. Elle le voyait dans ses yeux emplis de compassion. Elle l’entendait dans sa
voix grave et tremblante. Comment réconcilier ces yeux, cette voix, avec ses raisonnements
rigoureux et sa façon brutale et impitoyable d’énoncer les axiomes du commerce pour
les développer posément jusqu’à leurs conséquences pleines et entières ? Ce
contraste la choquait au-delà de toute expression. D’autant plus que Bessy avait
évoqué un surcroît de malheurs et de soucis. Naturellement, Nicholas Higgins tenait
un tout autre discours. Il avait été nommé membre du bureau du syndicat, et affirmait
connaître des secrets réservés aux seuls initiés. Il expliqua tout cela plus expressément
et plus particulièrement la veille du dîner chez les Thornton. Margaret, qui était
venue voir Bessy, le trouva en train de discuter avec Boucher, le voisin dont elle
avait souvent entendu parler. Tantôt il excitait la compassion de Higgins, car c’était
un ouvrier malhabile qui avait à sa charge une famille nombreuse, et tantôt il suscitait
sa colère, car à son avis, ce voisin moins énergique et moins optimiste que lui
manquait singulièrement de cœur au ventre. Lorsque Margaret arriva, elle vit que
Higgins était furieux. Boucher, les deux mains sur le manteau assez élevé de la
cheminée, oscillait légèrement sur l’appui que lui donnaient ses bras ainsi placés,
et regardait le feu d’un œil égaré, avec un désespoir qui irritait Higgins cependant
même qu’il le touchait. Bessy ! e balançait violemment d’avant en arrière,
comme à son habitude lorsqu’elle était agitée, Margaret le savait à présent. Sa
sœur Mary mettait son chapeau et faisait avec ses grands doigts maladroits de grands
nœuds maladroits, ainsi qu’on pouvait s’y attendre. Elle se préparait pour aller
couper la futaine, et pleurait bruyamment, de toute évidence impatiente de s’éloigner
d’une scène qui l’affligeait.
    Margaret arriva sur ces entrefaites. Elle resta un moment à la
porte, puis, mettant un doigt sur ses lèvres, vint s’asseoir discrètement près de
Bessy sur le divan. Nicholas, qui l’avait vue entrer, l’accueillit avec un signe
de tête brusque mais plutôt amical. Mary sortit à la hâte, se cramponnant à la porte
ouverte comme à une planche de salut. Sitôt hors de la présence de son père, elle
se mit à pleurer encore plus fort. Seul John Boucher ne prêta pas la moindre attention
à qui entrait ou sortait.
    — Ça sert à rien, Higgins. Elle en a pas pour longtemps
à ce compte-là : tous les jours, elle baisse. Oh, c’est pas tant qu’elle mange
pas ; c’est qu’elle supporte pas de voir les petits crever la faim. Oui, crever
la faim. Peut-être que toi, avec cinq shillings par semaine, tu y arrives, parce
que t’as que deux bouches à nourrir ; ton autre fille, elle gagne son pain.
Mais nous, on claque du bec. Je te le dis tout net, si elle

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