Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
mouvement le « luddisme » parce que les émeutiers se réfèrent à un certain général Lud, un personnage dont on n’est plus très sûr qu’il ait jamais existé. Lyon connaît, dans les années 1830, les révoltes des canuts, matées par un déploiement de force gigantesque, et qui restent un moment mythique : les canuts ont montré, écrit Jean-Pierre Rioux, « la valeur de l’opposition de classe, force contre force »…
Précisément, cette classe apprend à se former et à prendre conscience d’elle-même. Elle le fait dans des sociétés secrètes d’abord – puisque toute union est interdite jusqu’en 1884 – et aussi dans l’ébullition de nouvelles théories politiques. Le siècle voit la naissance du socialisme , ou, devrait-on écrire, des socialismes, tant les courants en sont nombreux. Ils ont tous en commun de fonder l’espoir d’une société meilleure sur l’émancipation de cette partie de la population. Saint-Simon, Fourier, Proudhon en sont les pères en France. Tous les pays qui ont vécu la même industrialisation connaissent le phénomène. À Londres, en 1864, les syndicats et les partis qui représentent les prolétaires dans tous les pays d’Europe cherchent à s’unir dans la première « Internationale ouvrière ». Elle est ouverte par le discours d’un certain Karl Marx, dont la pensée et les théories vont bientôt réussir à écraser celles des autres, même si, en France, les autres courants ouvriéristes restent longtemps influents.
À la fin du xix e siècle, dans notre pays, les choses s’accélèrent. Napoléon III a accordé en 1864 le droit de grève, mais il est très restreint, très compliqué à exercer, et il n’a été accompagné d’aucun texte permettant aux travailleurs de s’unir. Il faut attendre la loi Waldeck-Rousseau, en 1884, pour qu’enfin les syndicats soient autorisés. Dès lors, le nombre de gens qui y adhèrent explose (190 000 en 1890, 400 000 quatre ans plus tard). La grève devient une scansion familière de la vie de l’usine. Les grandes revendications, comme la journée de huit heures – qui sera finalement adoptée après la Grande Guerre (loi de 1919) –, appuyées par les uns, récusées par les autres, sont des enjeux nationaux. Et, au tournant du siècle, si les socialistes peinent toujours à s’unir, ils ne sont plus ces extrémistes redoutés qui se regroupaient dans les arrière-salles fumeuses des faubourgs trente ou quarante ans auparavant. Ils ont leur groupe parlementaire, leurs leaders nationaux, Jaurès, plus républicain, ou Jules Guesde, plus marxiste. Ils auront même en 1899, pour la première fois de leur histoire et au grand dam d’une partie d’entre eux, un ministre faisant son entrée dans un « gouvernement bourgeois » (Millerand, dans le gouvernement de Waldeck-Rousseau). Le geste déclenche des polémiques sans fin au sein de l’extrême gauche – doit-on collaborer avec le pouvoir ? –, il signe au moins ce fait indiscutable : les partis ouvriers représentent enfin un des grands courants de pensée parfaitement intégrés à la vie politique républicaine.
Le monde oublié
On le voit, il aura fallu bien du temps. C’est sur ce décalage que nous voudrions insister avant de clore ce chapitre. Le point paraîtra étonnant, car il est rare qu’on l’aborde en tant que tel, c’est dommage. En général, on se contente de suivre le déroulé des choses comme nous venons de le faire. Ainsi donc, constate-t-on, ce n’est que dans les années 1880-1890 que la « question ouvrière » et les partis qui s’en préoccupent entrent de plain-pied dans le débat national. Pourquoi oublier la remarque corollaire ? Cela signifierait-il donc qu’elle n’en a pas vraiment fait partie jusque-là, sinon à la marge ?
Tentons donc de refaire la même histoire, mais avec un point de vue inverse. Il ne s’agit plus d’observer notre problématique sociale depuis le bas de l’échelle, là où elle est à vif, mais depuis son sommet, chez les dirigeants, les politiques, les penseurs. Les livres en parlent moins, ils ont tort. Étudier ce qui passionne une société à un moment donné est essentiel. Souligner l’art qu’elle peut mettre à ne pas traiter de sujets qui, rétrospectivement, nous semblent si importants ne l’est pas moins.
On ne peut pas écrire, bien sûr, que cette omission est totale. Certains se penchent sur le sort du prolétariat pendant les six ou
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