Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
lumière, sans feu, où des êtres de trente ans flétris comme des vieillards se mouraient de fatigue et de maladie sur des galetas. Le poème qu’il a tiré de cette enquête, publié dans le recueil Les Châtiments , parle d’un « morne enfer » et cite Dante. L’allusion s’impose, en effet.
Le mouvement ouvrier
Bien sûr, peu à peu des transformations s’opèrent, des progrès vont apparaître. Ils aideront à donner un rien d’humanité à un univers qui en est à ce point dépourvu. Qui les a permis ? C’est une des grandes questions qui se posent encore à propos de cette histoire. Pour les économistes qu’on appelle aujourd’hui libéraux , le capitalisme porte en lui-même cette évolution : le système, en recherche perpétuelle de nouveaux marchés pour écouler sa production, a tout intérêt à sortir les prolétaires de leur misère, ne serait-ce que pour en faire des consommateurs. Ainsi le monde occidental, qui a expérimenté le premier la révolution industrielle, est aussi celui où le niveau de vie global des populations est le plus élevé. C’est bien la preuve de l’efficacité du capitalisme pour dégager les masses de la pauvreté.
Quel raisonnement bancal !, répond la gauche. Rien n’aurait jamais changé si les prolétaires eux-mêmes, et quelques penseurs qui s’en sentaient proches, n’avaient engagé un bras de fer avec les exploiteurs pour les contraindre à amender un système écrasant par nature. Ce combat est celui du « mouvement ouvrier ». En général, on raconte cette histoire-là en suivant son évolution. Il est bien légitime de le faire.
La lutte est d’autant plus héroïque qu’elle part d’une véritable table rase, celle qui a été faite après 1789. On a évoqué déjà ce paradoxe de la grande Révolution française. Elle fut obsédée par les idées de liberté et d’égalité entre tous les citoyens. Pour le prolétariat naissant, son action se solde par un accroissement de la servitude et de l’inégalité. Sous l’Ancien Régime, le mot même d’ ouvrier n’a pas le sens que nous lui connaissons : il désigne celui qui a fini son apprentissage et travaille au service d’un artisan. Son état est difficile, sans doute, mais il est aussi protégé par les rites, les traditions, les privilèges en usage dans sa corporation. Dans sa fougue de faire sauter le corset qui étouffait le pays, la Révolution abroge tout : la loi Le Chapelier de 1791 supprime les corporations et, de fait, interdit aux salariés de s’unir ou de s’organiser pour se défendre. Elle l’interdit aussi aux industriels, c’est vrai, mais le problème se pose moins pour eux, surtout si l’on songe au petit monde fermé que forment les grands patrons au xix e siècle. Pourquoi auraient-ils besoin d’un syndicat pour s’entendre avec leurs pairs ? Ils les voient tous les soirs dans les salons et dans les cercles.
Napoléon I er a ajouté au pied du travailleur une chaîne supplémentaire : le livret ouvrier – un document que le travailleur doit constamment avoir sur lui, qui fiche tous ses déplacements et toutes ses embauches et garde note de toutes les appréciations qu’elles lui ont valu. Le Code pénal de 1810 a fait pencher encore un peu plus la balance dans ce sens : en cas de procès opposant un ouvrier à son patron, le premier doit apporter des preuves tandis que le second est cru sur parole.
Avec ça règne la pensée libérale qui vient d’être théorisée au xviii e siècle. « Laisser-faire, laissez-passer » en a été le slogan. Il vise à bannir toute intervention de l’État dans le domaine de l’économie, et à laisser fonctionner le marché dans le domaine des biens comme dans celui du travail : en clair, le patron peut faire ce qu’il veut, baisser les salaires si les commandes ne rentrent plus, augmenter les cadences si elles se font plus nombreuses, ou licencier lors des crises – l’ouvrier n’a qu’à aller se vendre ailleurs s’il n’est pas satisfait. Il est libre, n’est-ce pas ?
Le xix e siècle ouvrier, c’est donc aussi celui du combat qui a permis peu à peu d’humaniser un monde inhumain. La lutte a d’abord été erratique et souvent très violente. Au début du xix e siècle, en Angleterre, les ouvriers du textile, enragés par le sort qui leur est fait, se retournent contre ce qu’ils croient être la seule source de leur malheur : ils brisent les machines. On appelle ce
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