Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
huit premières décennies de la révolution industrielle. L’Église, par tradition attentive aux pauvres, a vu naître dès les années 1830 ce courant que l’on appelle le catholicisme social, derrière de grandes personnalités comme Félicité de Lamennais (1782-1854), ou des œuvres comme la société Saint-Vincent-de-Paul (organisation fondée en 1833), attentives à soulager les misères.
Parfois, d’éminents philanthropes cherchent à alerter. On cite souvent, dans les livres d’aujourd’hui, l’enquête remarquable et terrible publiée en 1840 par Villermé, un médecin humaniste qui s’était plongé dans le quotidien des ouvriers des manufactures du textile. On la cite d’autant plus volontiers qu’il n’y en a pas beaucoup d’autres pour cette période. La réalité qu’il décrit est effroyable. Le cri se fait entendre. Des parlementaires pensent qu’il faut faire quelque chose. Sur quoi cela débouche-t-il ? Sur une réforme de fond obligeant à donner à tous un salaire décent ? Ou au moins à un plan d’urgence visant à soulager au moins temporairement ces malheureux ? Pas du tout. Après des mois, on en arrive à un texte législatif, qui est lui aussi toujours cité, parce qu’il est considéré comme un des premiers du droit social français : la loi de 1841 qui décide avec bravoure qu’il est temps d’interdire le travail aux enfants de moins de huit ans, et exige qu’on ne permette pas à ceux de moins de douze ans de travailler plus de huit heures par jour. On a bien lu. Au début des années 1840, un demi-siècle après la Révolution française et ses rêves d’égalité et de bonheur pour tous, on en était encore à devoir produire une loi pour empêcher qu’on envoie des bambins se tuer sous les machines, dans les usines où mouraient leurs pères. Et encore, le texte a suscité de vives oppositions. L’État n’a pas à s’immiscer dans des contrats qui regardent des particuliers, ont dit les vrais libéraux. Les gens respectueux des hiérarchies ont ajouté : et puis les pères de famille dirigent l’éducation de leurs enfants comme ils l’entendent ! S’ils veulent que leur progéniture travaille, au nom de quoi, franchement, les en empêcherait-on ? Tous ceux-là seront rassurés par la suite des événements, d’ailleurs : la loi est adoptée mais rien n’est prévu pour qu’elle soit appliquée. Les enfants, même petits, continueront à travailler longtemps, la misère est telle qu’aucune famille ne peut se passer de l’appoint. En 1874 encore (chiffres cités là encore par Rioux), les usines de plus de 10 salariés en France emploient 670 000 hommes et 130 000 enfants.
Il est donc inexact d’affirmer que la question sociale a été totalement absente du discours politique des deux premiers tiers du xix e siècle. Parfois, elle surgit même de façon brutale, extrême. Ainsi, au moment de la révolution de février 1848, avec Louis Blanc et ses amis, socialistes qui font une première entrée au gouvernement. C’est si bref. Ils ont le temps de pousser à la création des « ateliers nationaux », qui doivent donner du travail aux ouvriers qui n’en ont pas. En juin, les ateliers sont déjà fermés, les ouvriers sont réprimés à coups de fusil et Louis Blanc part en exil. Le « parti de l’ordre » revient aux commandes, le parti des propriétaires et des gens de bien.
Napoléon III, on l’a vu, se pique d’être, lui aussi, un peu « socialiste » – tout au moins c’est ce qu’il prétend. Dans les années 1840, il a publié un livre à vocation sociale, L’Extinction du paupérisme . Il affecte de mettre à l’honneur les prolétaires en envoyant à Londres une délégation en blouse et casquette, pour aller visiter l’Exposition universelle de 1862. Il accorde donc le droit de grève, songe à des législations de protection sociale mais ne va pas au bout de ses projets, et la façon dont se sont développés sous son règne l’affairisme le plus cruel et le capitalisme le plus sauvage montre de quel côté penche son bilan.
1871, la Commune : nouvelle révolution, nouveaux rêves en rouge, nouvelle apparition éclatante de la cause des prolétaires dans la vie du pays, nouvelle retombée avec la répression. Les espérances de justice sociale auront duré dix semaines. La nouvelle république qui apparaît alors mettra une quinzaine d’années avant de se pencher sur la question et de tenter
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