Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
bouleversements techniques successifs qui se produisent au xviii e siècle en sont un puissant déclencheur et ils contribuent bientôt à alimenter eux-mêmes le système : la mise au point des métiers à tisser mécanisés bouleverse le secteur textile ; la machine à vapeur révolutionne la production, et, appliquée aux bateaux, ouvre la voie à la révolution des transports, bientôt amplifiée au centuple par l’invention du chemin de fer – qui, à son tour, crée de nouveaux besoins énormes en charbon pour alimenter les chaudières et en métal pour construire rails et locomotives.
Repères
– 1791 : loi Le Chapelier proscrivant toute organisation ouvrière
– 1841 : loi interdisant le travail des enfants de moins de huit ans
– 1864 : droit de grève accordé par Napoléon III
– 1884 : loi Waldeck-Rousseau autorisant les syndicats
Commencé en Angleterre dans la deuxième moitié du xviii e siècle, le mouvement, sur un siècle, gagne une zone qui englobe le Nord et l’Est de la France, l’actuelle Belgique, la région de la Ruhr et se répand au fil des découvertes de nouveaux gisements de houille ou de minerai. Sur les plaines, dans les vallées, les puits de mine, les terrils, les hauts-fourneaux, les cheminées puantes forment l’horizon des temps nouveaux. Les modes de production antérieurs sont peu à peu balayés. Le petit artisanat disséminé, le travail de filage fait le soir à domicile perdent progressivement leur place dans le monde de la machine, du rendement, des unités de production de plus en plus énormes. Le phénomène est graduel : pendant un temps, nombre de travailleurs vont osciller entre les deux mondes, à l’usine à la morte saison, de retour aux champs l’été. Mais il semble irrésistible. En 1812, on compte, chez Schneider, au Creusot, 230 ouvriers. En 1870, ils sont 12 500. Au fil du temps, les usines, ces molochs du siècle, engloutissent ces masses humaines que les transformations de l’économie ont fini par jeter hors des campagnes et qui viennent, avec femmes et enfants, vendre aux patrons leur seul bien : leurs bras.
On n’a pas idée, aujourd’hui, de ce que fut, au moment du choc de cette révolution industrielle, la condition de ces gens. La vie des paysans du temps était rude : nourriture monotone, travail physiquement éprouvant, logement réduit au minimum. Dans nombre de petites fermes, nous disent les enquêtes conduites au xix e , l’espace dévolu à toute la famille se résumait à une pièce unique séparée de l’étable par un muret ne montant pas jusqu’au plafond, ce qui permettait de bénéficier de la chaleur des bêtes. À côté de la vie d’un ouvrier, cela semble presque luxueux. À la campagne, au moins, le rythme des saisons, l’organisation de la journée en fonction de la lumière du jour permettent des plages de repos. À l’usine, les journées durent de douze à quinze heures, toujours les mêmes, sans congés, sans temps morts, dans la froideur de l’hiver ou la touffeur de l’été, dans le bruit des machines, la saleté de l’huile, la puanteur de la fumée, sous les ordres d’un contremaître ou d’un patron qui exige des cadences de plus en plus lourdes, et n’hésite pas, nous explique Rioux, à truquer la cloche pour retarder la sortie. Les adultes, hommes et femmes, y travaillent pour des salaires de misère – on aura compris que l’expression est à prendre dans son sens plein. Les enfants aussi, à partir de six ou sept ans : leur petite taille est souvent un avantage. Dans les mines, ils peuvent se faufiler dans les plus étroits boyaux ; à l’atelier, ils peuvent se glisser sous les machines, cela permet de les graisser ou de les réparer sans avoir à les arrêter… Pour les hommes, la seule distraction après l’ouvrage est d’aller se retourner la tête avec du mauvais alcool au cabaret. Les femmes ont droit à des heures supplémentaires d’un autre type : souvent des rabatteurs installés à la sortie même des ateliers les invitent à la prostitution. Dans l’argot du temps, on dit qu’elles font leur « cinquième quart ». Ensuite, il reste à s’effondrer d’abrutissement dans des soupentes puantes dont ne voudraient pas des bêtes. Victor Hugo est resté marqué à jamais par la visite qu’il a effectuée en 1851, à l’époque où il était député de la Seconde République, dans les caves de Lille, des trous à rats insalubres, sans
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