Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
alors, la plupart des journaux étaient lus par une petite élite lettrée et, sauf dans quelques feuilles très à gauche, leur tonalité sur ce genre d’événement était simple : la répression s’imposait contre ces fauteurs de trouble qui menaçaient l’ordre social.
Pour qu’une grande affaire ouvrière fasse les manchettes d’une presse atteignant enfin le plus vaste public, il faut attendre bien longtemps. Il faut attendre les lendemains du 1 er mai 1891, le jour de la « fusillade de Fourmies », dans le Nord, cette bavure tragique de l’armée, qui, débordée, tire sur des ouvrières et des ouvriers du textile. Ils manifestaient pacifiquement dans la rue pour demander, comme on le fait alors aux États-Unis depuis dix ans, la journée de huit heures. Neuf morts laissés sur le pavé, des garçons et des filles, huit d’entre eux n’ont pas vingt ans. Les premières pages des journaux ; des discours horrifiés à la Chambre de Clemenceau ou Jaurès ; une secousse dans l’opinion. Certes, l’ensemble du pays ne partage pas le même point de vue sur cette tragédie. Pour la majeure partie de la droite, la faute incombe comme toujours à quelques meneurs , une fois encore ce sont ces rouges avides de chaos, ces socialistes irresponsables qui ont conduit à la catastrophe en bourrant la tête des ouvriers avec des chimères : des journées de huit heures ! Le journaliste Drumont, fer de lance de l’antisémitisme, un courant de l’opinion alors très puissant, réussit une fois de plus à accuser du crime sa cible favorite et obsessionnelle, les Juifs. Il tient une preuve irréfutable : le sous-préfet du lieu n’a eu aucune responsabilité dans la fusillade, mais il se nomme Isaac – c’est bien un signe, non ? Cependant, une partie importante de l’opinion, choquée au-delà même de toute considération politique, accepte pour une fois de se rendre à une idée si longtemps impensable : un ouvrier, même quand il manifeste dans la rue, peut être aussi une victime.
1 La Révolution industrielle , « Points », Le Seuil, 1989.
2 Histoire sociale de la France au xix e siècle , « Points », Le Seuil, 1997.
3 Immigration, antisémitisme et racisme en France , Fayard, 2007.
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L’affaire
Dreyfus
Le 5 janvier 1895, dans la cour de l’École militaire à Paris, un soldat en grand uniforme arrache les épaulettes du militaire mortifié qui lui fait face, puis il saisit son sabre et le rompt sur sa cuisse. L’homme a qui l’on fait subir cette dégradation en place publique, peine infamante, est un jeune capitaine qui vient d’être condamné par ailleurs au bagne à perpétuité pour des faits gravissimes. Trois mois plus tôt, une femme de ménage a apporté aux services secrets français une lettre qu’elle avait subtilisée dans une corbeille de l’ambassade d’Allemagne. Ce bordereau, comme on l’appelle, livrait à un diplomate de ce pays des informations militaires confidentielles. Il était écrit de la main du capitaine.
Neuf ans et demi plus tard, le 12 juillet 1906, la Cour de cassation, constatant que « de l’accusation, rien ne reste debout », annule toutes les condamnations et réhabilite solennellement cet homme. Quelques semaines après, il est réintégré dans l’armée et reçoit la Légion d’honneur. Depuis le jour de son premier interrogatoire, il n’a cessé de clamer son innocence. Il a fallu près de douze ans pour qu’elle lui soit rendue.
Repères
– 1886 : La France juive d’Édouard Drumont
– 1889 : loi sur la nationalité favorisant le droit du sol
– 1894 : arrestation du capitaine Dreyfus, accusé de haute trahison
– 1898 (janvier) : J’accuse de Zola ; août : suicide du commandant Henry, auteur du faux accusant Dreyfus
– 1899 : nouveau procès, Dreyfus à nouveau condamné, puis gracié
– 1906 : réhabilitation de Dreyfus
On l’a compris, l’homme s’appelle Alfred Dreyfus. C’est un officier français d’origine alsacienne. Dès les lendemains de son arrestation, une campagne de presse hargneuse n’a eu de cesse de lui rappeler qu’il est également juif. Son histoire est au cœur d’un des épisodes politico-judiciaires les plus célèbres de l’histoire de France.
« L’affaire Dreyfus », donc, est avant tout l’histoire du combat mené par quelques héros pour faire éclater la vérité, quand les plus puissantes institutions de leur pays sont prêtes à tout pour
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