Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
Émile Zola. Sitôt que le grand écrivain se jette dans le combat pour défendre l’officier juif, les antidreyfusards s’en donnent à cœur joie. Maurice Barrès, toujours : « Qu’est-ce que Monsieur Émile Zola ? Je le regarde à ses racines, cet homme-là n’est pas français. »
Eh bien si, il l’était. Et la résolution de l’affaire Dreyfus, d’une certaine manière, a apporté une claire réponse aux insinuations de Barrès et à ses conceptions.
En matière de nationalité, quelques années avant l’arrestation du capitaine, la loi a déjà tranché. En 1889, un grand texte a été voté qui a élargi un vieux principe pour en faire la base de l’obtention de la qualité de Français : le droit du sol. Un enfant d’étranger né en France et qui y réside au moment de sa majorité devient automatiquement français. Il ne faut pas se méprendre sur l’apparente générosité de cette loi. Elle est surtout très intéressée. On vient de rétablir la conscription, on se prépare à une nouvelle guerre, on a besoin de soldats. Le texte a avant tout pour but de contraindre tous les jeunes nés sur le territoire au service militaire. Pour autant, en mettant ainsi tout le monde à la même enseigne, il a l’immense avantage de contredire formellement toute « ethnicisation » de la nationalité.
L’« Affaire », et surtout la façon dont elle se termine, ajoute un étage à cet édifice. Bien sûr antisémitisme et xénophobie continueront à sévir. Ces deux fléaux régneront même en maîtres pendant l’Occupation, lors de la parenthèse de « l’État français » du maréchal Pétain, qui fera du racisme un des fondements de sa politique. Mais le dénouement du grand épisode judiciaire dont on vient de parler les aura déportés à l’extrême droite de la vie politique. Le « dreyfusisme », comme on l’a appelé, est issu d’un minuscule cénacle d’individus courageux et obstinés. Il devient au début des années 1900 une opinion dominante : toutes les élections donnent des majorités aux partis dirigés par ses deux plus grandes voix, les radicaux de Clemenceau et les socialistes de Jaurès. Avec la réhabilitation du capitaine, la République tout entière finit par trancher clairement. Les catholiques, la droite, en se ralliant peu à peu au régime au cours du xx e siècle, vont faire leurs les principes qui ont été posés alors.
Dreyfus fera la guerre de 1914, puis mourra un peu oublié en 1935. Le colonel Picquart, qui a refusé de taire la vérité, a été réhabilité en même temps que le capitaine ; il devient ministre de la Guerre de Clemenceau et décède stupidement d’un accident de cheval au début de 1914. Zola n’aura pas vu la fin de l’histoire, il est mort en 1902, mais il entre au panthéon en 1920. De leur côté, Barrès peut aller manger ses racines avec qui il veut et Déroulède sonner son clairon dans l’enfer des causes perdues. La philosophie nationale est posée, elle est toujours la nôtre : en France, il n’y a pas de citoyens que leur origine, leur famille religieuse, leur sang rendraient plus citoyens que d’autres. Il n’y a pas de valeurs prétendument sacrées qui vaillent qu’on cache la vérité et qu’on punisse un innocent. La justice est la justice ; un Français est un Français.
1 Dreyfus, un innocent , Fayard, 2006.
2 Voir par exemple son excellent Immigration, antisémitisme, et racisme en France , op. cit .
3 Sous la direction d’Yves Lequin, op. cit .
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La séparation
des Églises et de l’État
Naissance de la laïcité à la française
Le 9 décembre 1905, nul diable au pied fourchu n’a explosé d’un rire de victoire, nul dieu vengeur n’est sorti des nuages pour faire tomber sur la France la foudre de son courroux. Pourtant, la République a pris ce jour-là une décision qui aurait sans doute déclenché des convulsions de terreur chez un homme du Moyen Âge ou chez un sujet de Louis XIV. Après un an de débats passionnés au Parlement, après des bagarres infinies jusqu’au sein de la majorité de gauche qui domine alors la Chambre des députés, et grâce à la finesse stratégique d’un certain Aristide Briand, le député qui en a été le rapporteur, le président de la République promulgue un des textes fondamentaux de la vie publique de notre pays : « la loi de séparation des Églises et de l’État ». L’affaire Dreyfus n’est même pas encore achevée. On
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