Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
La crise continue de faire des ravages, la situation économique rend difficile toute extension des réformes. En février 1937, le gouvernement décrète la « pause ». En juin, voulant avoir les mains libres pour agir sur la crise financière, Blum demande aux deux chambres le pouvoir de légiférer par « décrets-lois ». Les députés acceptent. Les sénateurs refusent. Démission de Blum, qui est remplacé par un très insipide radical. Un an plus tard, au printemps 1938, il est rappelé. L’Europe est au bord de l’abîme. Hitler vient d’annexer l’Autriche. Le vieux socialiste a dans l’idée de former un gouvernement d’union nationale qui soit à la mesure du péril. Les querelles partisanes l’en empêchent. Un autre radical, Édouard Daladier, prend le pouvoir en cherchant sa majorité à droite. En novembre 1938, les syndicats tentent de réactiver l’esprit de 36, ils appellent à la grève. Médiocre baroud d’honneur : les travailleurs sont fatigués, l’espérance n’y est plus. L’échec du mouvement signe, pour les historiens, la fin de cette parenthèse de notre histoire.
Sur le strict plan des faits, on le voit, le Front populaire fut bref et de portée limitée. Il ne sonna pas la fin du capitalisme, ni les débuts triomphants de cette mythique révolution qui, depuis des décennies, faisait rêver ses partisans et donnait des cauchemars aux classes possédantes. Pourtant, cette éphémère parenthèse reste un moment important de notre histoire. Sa place particulière dans la chronologie y est pour beaucoup. 1936, c’est trois ans à peine avant 1939. Les photos que chacun a dans la tête d’ouvriers en tandem, de prolos joyeux pique-niquant au bord de la Marne, de grévistes valsant au son de l’accordéon sont les dernières images heureuses avant qu’on ne passe, dans le grand album du temps, à celles en noir et sang de la page suivante. Son poids symbolique compte aussi sur le plan politique : premier gouvernement socialiste de la République, on l’a dit, il reste un temps essentiel de l’histoire de la gauche en France. Profitons-en donc pour en parler.
La déchirure du congrès de Tours
Un des drames éternels du mouvement ouvrier est son incapacité à s’unir. Là où nous l’avions laissé, à la fin du xix e siècle, il était partagé encore en une multitude de chapelles, de courants, de tendances, toutes rivales, toutes plus ou moins ennemies. Le but final était le même : réussir à détruire le capitalisme pour le remplacer par une société plus juste dans laquelle les biens seraient à tous et le bonheur à chacun. Personne n’était capable de s’entendre sur les moyens d’y arriver : faut-il y aller pas à pas ? Conquérir par exemple les municipalités une à une pour y démarrer le travail de réforme et abattre le vieux monde par tranches, comme le pensent les « possibilistes » ? Doit-on tout miser sur la création d’un parti fort et centralisé et une prise de contrôle de l’État, comme l’estiment les marxistes ? Ou s’en défier, comme le pensent les héritiers de Bakounine, ennemis de toute autorité ? Faut-il faire jouer le jeu des élections, tenter des alliances au coup par coup avec les « partis bourgeois », voire participer à leurs gouvernements comme le pensent les « socialistes indépendants » ? Ou au contraire, comme l’estiment les grands syndicats, est-il préférable de refuser le système des partis pour arriver à la révolution « par le bas », c’est-à-dire par la grève générale, qui permettra à tous les prolétaires d’en finir par eux-mêmes avec le capitalisme ?
Il existe néanmoins, depuis 1889, une instance censée fédérer tous les prolétaires de la planète et leurs représentants : l’Internationale ouvrière. On l’appelle la « Deuxième Internationale » parce qu’elle a succédé à la première, lancée à Londres en 1864 et morte peu de temps après. Au début du xx e siècle, elle exige que les socialistes fassent leur unité. Les Français obtempèrent. Même de grands rivaux comme Jean Jaurès ou Jules Guesde arrivent à la fusion de leurs mouvements pour accoucher en 1905 de ce parti nouveau que nous avons croisé plus haut et dont le nom s’éclaire tout à coup : la SFIO, la « Section française de l’Internationale ouvrière ».
À peine douze ans plus tard, en 1917, une bombe explose dans ce ciel rouge : la révolution russe. Ou
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