Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
de vue.
Bien sûr, Bouvines est une bataille importante. Certes, les manuels d’histoire allemande en parlent très peu et ceux d’histoire anglaise à peine. Le grand Duby, toutefois, écrit qu’elle a « profondément modifié la carte de l’Europe », on se gardera bien de le contredire. À la suite de la défaite, Otton, humilié, perd sa couronne. Jean sans Terre, affaibli par ses pertes continentales et l’échec de sa stratégie, est en mauvaise posture face à ses grands ennemis intérieurs : les « barons », c’est-à-dire les grands seigneurs d’Angleterre qui ne cessent de contester son pouvoir pour augmenter le leur. C’est ainsi qu’un an après Bouvines, à la suite d’une véritable guerre civile, ils réussissent à lui imposer un document d’une grande importance pour l’histoire : la Magna Carta , la célèbre « Grande Charte ». Le texte limite considérablement le pouvoir royal. Il marque le triomphe des féodaux sur leur souverain. En fait, en posant le principe de la limitation de l’arbitraire royal, il nous apparaît aujourd’hui comme un des fondements de l’histoire des libertés publiques et marque le premier petit pas de ce qui deviendra bien plus tard la monarchie constitutionnelle. À l’inverse, de l’autre côté de la Manche, la victoire de Philippe a renforcé le trône capétien pour des décennies. Si l’on considère le long terme, on peut donc voir dans les conséquences de Bouvines ce qui déterminera l’histoire des deux pays : une monarchie tempérée côté anglais, et autoritaire côté français.
Philippe Auguste a gagné en pouvoir, en prestige, même si, comme le raconte Duby, cette gloire soudaine a été savamment embellie et sculptée par des chroniqueurs qui ont si bien travaillé qu’on continuait, huit siècles après eux, à croire sur parole leurs aimables flatteries.
Oui, Bouvines est une indéniable victoire pour le roi et la royauté tout entière, même si, comme dans toutes ces affaires militaires, il vaut mieux ne pas tenter d’aller chercher dans les fossés de l’histoire ce qu’elle a coûté sur le plan humain. C’est là un autre intérêt de l’étude de cette bataille : elle nous renseigne sur l’art de la guerre au Moyen Âge et sa pratique, assez surprenante par bien des côtés quand on l’observe avec nos yeux d’aujourd’hui.
Comme l’explique fort bien Duby, lors de ces guerres féodales, les nobles, qui sont toujours ceux dont on met en avant la vaillance, ne risquent presque jamais la mort. Ils représentent un bien trop précieux. L’objectif du camp adverse, c’est de mettre la main sur le plus grand nombre d’entre eux, pour les prendre en otage en attendant la rançon, cette source de revenus tellement énorme qu’elle peut nourrir des familles – et en ruiner d’autres – pour des décennies. Dans la plupart des cas, l’emprisonnement n’a rien de très carcéral. En général, le prisonnier vit comme tout le monde dans le château de son hôte sans surveillance particulière : son honneur lui commande de ne pas s’enfuir. Selon le système de valeurs de l’époque, c’est le geôlier le plus efficace. Tout cela peut prendre vingt ans : les sommes sont lourdes, il faut le temps de les réunir.
Pour la piétaille, en revanche, les innombrables fantassins, les sergents d’armes qui les encadrent et marchent au-devant des chevaliers, ou à côté d’eux, c’est la boucherie. Pour quel gain ? Un peu d’argent, des rêves de rapines, le sentiment de servir son seigneur. C’est peu cher payé au regard de l’horreur encourue, c’étaient les mœurs du temps.
Que dire des à-côtés de ces affrontements : le terrain que l’on prépare en ravageant des provinces, en mettant à feu et à sang des villages ou des villes. Dans sa rage à soumettre Ferrand et à mettre au pas les Flamands, Philippe Auguste n’a pas reculé devant grand-chose. Il est allé jusqu’à la quasi-destruction de Lille, et à la déportation d’une partie de sa population. De cela, on se doute, nos braves manuels ne pipaient mot : pour célébrer le « sentiment national », avouer qu’on en était passé par de telles horreurs commises contre de futurs citoyens français, cela aurait fait tache.
Il faudrait, pour être complet, ajouter quelque part en haut de cette grande fresque d’époque un personnage dont nous n’avons pas parlé et qui a, dans l’affaire, une importance déterminante :
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