Nostradamus
troisième
coffre. Il s’y reprit à trois fois, et lorsqu’enfin il eut jeté un
seul regard à l’intérieur, lorsqu’il vit que ce coffre était vide
comme les deux premiers, lorsqu’il fut certain de son malheur, il
demeura immobile, pétrifié, l’œil dilaté. Cela dura quelques
secondes, et brusquement, sans un cri, l’avare tomba à la renverse,
foudroyé.
Promptement, Saint-André revint au
sentiment : quelqu’un lui faisait respirer un puissant
révulsif qui, sans doute, lui évita l’apoplexie. L’avare eut un
frémissement de terreur, il se releva d’un bond, se rua à l’armoire
de fer, la ferma à toute volée, et se campa, le dos à la porte, le
poignard à la main… L’inconnu se mit à rire.
– Avez-vous donc peur que je vous
vole ? dit l’homme.
– Qui êtes-vous ? rugit Saint-André.
Et comment avez-vous pu entrer ici ?
L’homme laissa tomber son manteau.
– Nostradamus ! râla
Saint-André.
– Oui, dit Nostradamus. Ne vous
attendiez-vous pas à me voir ?
Saint-André claquait des dents. Pourtant la
nécessité de supprimer cet homme, qui avait surpris le secret de
son trésor et de l’entrée des caves, lui apparaissait urgente. Le
trésor !… Avait-il donc oublié que les coffres étaient
vides ?… Son poignard dans sa main, il se ramassa… et se rua
en hurlant :
– Nostradamus du diable, c’est ici ta
dernière diablerie !
Un effroyable cri d’agonie lui échappa et le
poignard tomba de sa main endolorie ; il éprouva l’impression
d’un choc contre un mur invisible. En réalité, il y avait eu arrêt
brusque de son élan.
Déjà il oubliait sa vaine tentative. Il
ramassa l’arme.
– Je veux savoir comment tu es entré
ici !
– C’est vous qui m’avez ouvert la porte.
Je vous ai rejoint là-haut, et je vous ai ordonné de ne pas me
voir. Vous avez obéi, puisque je suis là depuis le moment où vous
avez ouvert vos coffres.
– Alors, vous avez vu mes
coffres ?
– Je les ai vus, et, comme vous, j’ai vu
qu’ils sont vides.
– Vides ? bégaya l’avare frappé
d’horreur.
Il bondit à l’armoire, l’ouvrit, souleva les
couvercles. Et alors, il se retourna vers Nostradamus, les traits
décomposés.
– Vides ! murmura l’avare en
baissant la tête. C’est bien vrai. Mes coffres sont vides. Et je
vis ?…
Il souffrait en cette heure ce qu’une vie de
désespoir peut représenter de souffrances accumulées. Sa tête
tremblait sénilement. Ses yeux étaient ceux d’un fou. Nostradamus
souriait.
– Oui, reprit l’avare, je vis et mes
coffres sont vides. Qui m’a tué mon trésor ? S’il y avait un
Dieu de justice, il m’apprendrait le nom de l’assassin…
– Je vais vous le dire !
– Vous !… Ah ! oui, vous savez,
vous ! Eh bien, écoutez, dites-moi cela, et je suis à
vous ! Le nom ! Le nom !
– Roland de Saint-André ! dit la
voix de Nostradamus.
– Mon fils ! délira l’avare avec une
effroyable joie. Alors… je vais retrouver mon trésor… puisqu’il est
mort !…
L’avare titubait. Et maintenant qu’il se
croyait sûr de retrouver le trésor,
puisque son fils était
mort…
il sanglotait. Nostradamus le contempla une minute avec
curiosité. Puis, il s’avança vers l’avare et lui prit la main.
Saint-André tressaillit. Il sentit la peur se glisser dans ses
veines. Le visage de Nostradamus resplendissait de haine. Il
demanda au mage :
– Que voulez-vous ?
– Je veux vous dire que ma vengeance est
satisfaite.
– Votre vengeance ? grelotta
Saint-André.
– Votre fils ne vous rendra pas vos six
millions. Votre trésor il l’a partagé en fractions de vingt mille
livres ; et chacune de ces fractions, avant de courir trouver
la mort à Pierrefonds, il les a données. En ce moment, il y a dans
Paris trois cents familles qui bénissent le bienfaiteur inconnu
grâce à qui elles vont pouvoir vivre…
L’avare se tordait les bras. Et Nostradamus
continua :
– Votre fils Roland ignorait où se
trouvait le trésor.
– Oui, oui ! Tout le monde
l’ignorait…
– Roland n’avait même pas l’idée de s’en
emparer.
– C’est vrai ! Il ne pouvait avoir
l’idée de tuer son père…
– Il a donc fallu que quelqu’un lui
donnât d’abord cette idée ! puis, le conduisît jusqu’au
trésor…
– Ce quelqu’un ! grinça l’avare dans
un hoquet d’agonie.
– C’est moi ! dit majestueusement
Nostradamus.
– Vous !
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