Nostradamus
dites, fit Nostradamus que
son
enfant
vint au monde ?…
– Oui. J’ai dit cela.
– L’enfant de Marie ? Marie a eu un
enfant ?…
– Oui. Né dans les cachots le jour que
j’ai dit. Un fils…
– Un fils, répéta machinalement
Nostradamus.
Le dauphin éclata d’un rire funèbre en
disant :
– Oui, de mon frère Henri !…
Nostradamus poussa le soupir d’une bête qu’on
tue. Avec le même rire, François reprit :
– Elle qui m’avait résisté, à moi,
s’était donnée à mon frère.
– S’était donnée ! murmura
faiblement Nostradamus.
– À mon frère Henri ! Comprenez-vous
maintenant pourquoi Henri a fait sortir du Temple sa
maîtresse ?…
– Il l’a fait sortir ! balbutia
Nostradamus. Oui. Il voulait avoir près de lui sa maîtresse et son
enfant.
François, toujours agité par son rire insensé,
continuait :
– Comprenez-vous maintenant mon
crime ? Quand elle est sortie du Temple, je l’ai suivie. J’ai
bondi sur elle au moment où elle allait retrouver mon frère. Je
l’ai abattue d’un coup de poignard.
Nostradamus se pencha.
– Et l’enfant ? L’avez-vous tué
aussi ?
– Non ! Celui-là, je ne l’ai pas
tué, il a été remis…
– À qui ? À qui ?
Rappelez-vous, je le veux !…
– À un homme qui s’appelle… je me
souviens… cet homme qui emporta l’enfant s’appelle
Brabant-le-Brabançon.
Le dauphin roulait sur l’oreiller sa tête
livide ; ce qui sortait de cet oreiller, c’était un amalgame
de haine, de passion, de terreur, de vengeance… et Nostradamus
écoutait ces lamentations qui répondaient aux lamentations de son
cœur.
– Voilà donc pourquoi le lien est rompu
d’elle à moi ! Elle s’est donnée !… Son fils… Le fils
d’Henri !… Marie ! Un fils !… Adieu, jeunesse,
amour, confiance ! Voici que s’ouvre pour moi le septième
cercle d’enfer, la porte de flammes où ces mots sont écrits :
TU HAÏRAS !…
– À moi ! hurla François. Je me
meurs !… La potion !…
Nostradamus grinça des dents. Il se pencha,
montra le flacon au moribond, qui essaya d’allonger sa main…
– Le contre-poison ! rugit
Nostradamus. Je n’ai qu’à en verser quelques gouttes dans ta
bouche, et tu es sauvé !…
– Oui ! oh ! oui ! haleta
François avec une joie délirante.
– Sauvé ! Tu vivras ! Tu seras
roi ! Roi de France !
– Vite ! Donnez ! râla François
extasié.
– Regarde ! grinça Nostradamus d’une
voix terrible.
Nostradamus se recula, tenant le flacon dans
sa main fermée.
– Oh ! bégaya le dauphin ivre de
terreur, qui êtes-vous ?
– Je suis l’époux de celle que tu as
jetée dans les cachots du Temple, que ton frère a déshonorée, et
que tu as tuée, toi !… Regarde !
Dans cet instant, le flacon serré dans la main
de fer qui l’étreignait, se brisa… et la potion sauveuse se
répandit sur le plancher mêlée de sang. François retomba haletant
sur le lit. Nostradamus s’approcha, et, pantelant de haine,
prononça :
– Meurs, maudit ! Meurs le premier,
en attendant que meurent de ma haine Jacques d’Albon de
Saint-André, Gaétan de Roncherolles, et Henri, futur roi de
France ! Meurs !…
Un spasme d’agonie galvanisa un instant le
moribond. Puis tout fut immobile sur la couche funèbre. Nostradamus
alla alors ouvrir la porte. Il apparut à ceux qui attendaient
calme, paisible.
– Messieurs, dit-il, monseigneur le
Dauphin était condamné par Dieu puisque je ne l’ai pas sauvé.
Messieurs, le dauphin de France est mort. Ramenez-moi dans mon
cachot.
III – LES QUATRE GARDES
La douleur de François I er fut
terrible. Et terrible aussi fut sa vengeance lorsqu’il lui parut
démontré que le dauphin avait été empoisonné. Huit jours après la
mort du dauphin, le roi reçut une lettre qui accusait Montecuculi
d’être l’assassin du prince. On ajoutait que l’échanson du dauphin
avait été payé par Charles-Quint pour accomplir son forfait.
Montecuculi, jeté dans un cachot, nia jusqu’au
bout : il était sûr que le nouveau dauphin, Henri, le
sauverait au dernier moment. Il était d’ailleurs résolu à le
dénoncer, lui et Catherine, s’ils ne venaient pas à son secours. On
lui avait présenté la lettre qui l’accusait, et il avait cru
d’abord y reconnaître certains traits de l’écriture de Catherine.
Mais cette supposition lui avait paru si monstrueuse qu’il l’avait
aussitôt rejetée.
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