Nostradamus
silence, tout
pensif. Enfin, il reprit :
– Vous avez essayé de sauver mon
fils…
– Je ne l’ai pas sauvé, dit
Nostradamus.
– Oui ! Mais vous l’avez essayé. Des
rapports qui m’ont été adressés, il résulte que vous avez tenté de
composer un contre-poison. Sans doute, il était trop tard…
Le roi porta vivement la main à ses yeux et
essuya une larme d’un geste brusque. Nostradamus ne dit rien.
– On dit, reprit
François I er , que si vous avez sauvé la paralytique
de Tournon, c’est grâce à l’aide des puissances infernales. Le
vénérable Ignace de Loyola nous a écrit que vous êtes un danger
vivant. Mais vous avez essayé de faire vivre mon fils. Pour le bien
de votre vie terrestre et le repos de votre âme, je vous ordonne de
renoncer à vos pratiques. Et je veux payer la dette de
reconnaissance contractée par mon bien-aimé fils. Allez : vous
êtes libre !
Catherine fit un signe. Henri s’avança de deux
pas et dit :
– Sire, cet homme a-t-il réellement
essayé de sauver mon malheureux frère ? Ce qui est sûr, c’est
qu’il a écarté tout le monde de la chambre où agonisait le pauvre
François… et qu’il est resté seul dans la chambre jusqu’à ce que la
mort eût achevé son œuvre. Pour moi, sire, cet homme est sûrement
un imposteur… et peut-être un complice.
François I er se tourna vers
Nostradamus et gronda :
– Qu’avez-vous à dire ?
Répondez.
– Rien.
Catherine sourit. Ce jeune homme avait assisté
aux derniers moments de François. Il pouvait être un danger. À tout
hasard, il valait mieux s’en débarrasser.
– Prenez garde ! fit le roi. J’ai
voulu vous sauver. Mais si vous vous taisez, c’est que vous
acceptez l’accusation…
Nostradamus garda le silence.
– Emmenez-le ! cria
François I er . Qu’on le tienne au secret. Et qu’on
instruise son procès en sorcellerie !…
– Sire, dit Henri, si vous le permettez,
c’est moi-même qui dirigerai l’instruction de ce procès. Je ne
laisserai à personne le soin de calmer votre douleur et la mienne
par de justes représailles !
– Faites, mon fils ! dit le roi
d’une voix attendrie.
Henri releva la tête. Dans cet instant, son
regard se croisa avec celui de Nostradamus et il recula en
bégayant :
– Emmenez-le dans les prisons du
Palais [4] .
Le camp royal avait été dressé à deux lieues
environ de la ville. Nostradamus fut entraîné hors de la tente et
poussé dans la prison roulante, qui s’ébranla aussitôt. Ses quatre
gardes reprirent leur place habituelle.
Nostradamus était transformé. Sa rencontre
avec Henri, avec l’homme à qui s’était donnée Marie, avait
galvanisé ses forces. Il voulait vivre ! Il voulait être
libre !
Ses gardes étaient ainsi disposés : deux
en face de lui, un à sa gauche, un à sa droite. Ils causaient entre
eux.
– Brabant-le-Brabançon nous manque !
dit l’un d’eux.
Nostradamus tressaillit. Sa prodigieuse
mémoire lui répétait les paroles du dauphin pendant son agonie.
Brabant-le-Brabançon ! C’était l’homme qui savait ce qu’on
avait fait du fils de Marie… et d’Henri !
– Quel rude cavalier, et quel bon chef de
ronde ! Ventre-diable, où peut-il être ? Je crois, je…
ah !… je…
Brusquement, le soudard se tut, sa tête se
pencha.
– Ohé, camarade, cria son voisin en le
secouant. Dormir en service commandé par le roi !
Réveille-toi, ventre dieu !…
L’homme s’était endormi d’un si profond
sommeil, que son camarade renonça à le secouer, et se rencoigna en
grognant :
– L’animal aura vidé quelque bonne
bouteille sans nous. Ah ! si j’en étais sûr ! Je le…
je…
Il se mit à ronfler, et les deux gardes encore
éveillés s’esclaffèrent. C’étaient ceux qui encadraient le
prisonnier.
– Heureusement ! fit celui de
gauche, nous sommes loin de la ville : les deux soûlards
auront le temps de cuver.
Nostradamus se tourna vers cet homme et lui
planta son regard dans les prunelles comme un double coup de dague.
L’homme passa sa main sur son front ; les lèvres de
Nostradamus s’agitèrent… l’arquebusier se renversa en arrière, les
yeux fermés.
Le dernier se sentit alors envahi par la
terreur. Ce brusque sommeil qui s’abattait sur chacun de ses
compagnons lui parut un prodige d’enfer. Il allongea la main vers
la corde qui, attachée au bras du conducteur, permettait d’arrêter
la voiture en cas de besoin.
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