Nostradamus
mots avec dureté :
– Ce fou est le seul sage de cette
assemblée !…
– Malheur à moi si je suis devenu
sage ! cria Brusquet. Je perdrai mon emploi, le meilleur de
cette cour de fous !
Tout le monde s’était tourné vers lui, prêt à
relever cet anathème. Mais tout le monde frissonna, se courba sous
la menaçante bénédiction du moine vêtu avec pauvreté – et, de
bouche en bouche, courut le nom de cet homme qu’on disait maître de
l’esprit du roi :
– Monsieur de Loyola !…
Le héraut cria :
– Son Altesse Royale
M me Marguerite !… M me la
duchesse de Valentinois !…
Marguerite de France, fiancée du duc de
Savoie, entrait avec Diane de Poitiers. Alors âgée de vingt-sept
ans, Marguerite était jolie, lettrée, spirituelle, aimée, admirée.
Mais en cette soirée, l’attention publique se reportait sur celle
qu’elle accompagnait, la nouvelle duchesse. Tous les regards se
tournèrent vers Diane de Poitiers, vers la maîtresse du roi qui,
donnant la main au connétable de Montmorency, s’avançait d’un pas
majestueux.
La duchesse de Valentinois avait tout près de
soixante ans ! Elle les avouait, les proclamait sachant bien
que c’était une rare merveille à proposer à l’admiration que ce
corps demeuré ferme et pur, que le miracle de ce visage resté
radieusement jeune.
La duchesse de Valentinois s’était assise dans
le fauteuil placé à gauche de celui qui était destiné au roi. Quant
à Marguerite, elle avait modestement gagné sa place, donnant la
main à son fiancé, Emmanuel de Savoie, adversaire du royaume de
France, réconcilié par politique.
– Messieurs, la reine ! place à la
reine !…
Et c’était Catherine de Médicis, escortée de
ses filles d’honneur. Souriante, elle marcha à Diane de Poitiers,
qu’elle embrassa.
– Oh ! murmura Brantôme, elle va
l’étouffer !
Quelqu’un, plus avidement que toute la cour,
avait regardé Catherine de Médicis. C’était le baron de
Lagarde ! Il ferma les yeux, ébloui comme s’il avait vu la
foudre ! Un frisson le saisit à la nuque !… Au corsage de
Catherine, il avait vu la rose. Et cette rose lui donnait un ordre
terrible. Et, en lui-même, il rugissait :
– Il est temps ! L’heure est
venue ! Il est temps de tuer…
– Le roi ! tonna le héraut.
Messieurs, place au roi !…
III – LE SORCIER
– Gardes ! Présentez vos
armes !…
Les Écossais exécutèrent le mouvement ;
puis se figèrent. Déjà Henri II allait prendre place dans son
fauteuil, entre Catherine de Médicis et Diane de Poitiers. Un
silence glacial était tombé. Henri II jeta un long regard
trouble sur le cercle de ses gentilshommes courbés. Et ce regard
s’arrêta sur les plus jolies femmes. Satisfait de ce grand silence,
il se renversa dans son fauteuil, et, d’un bel humour :
– Est-ce là la cour de France ? Par
la sambleu, que l’on rie un peu. Qu’on aille quérir des luths et
des violes. Qu’on apporte des tables de jeux, qu’on entende un peu
le bruit des écus d’or !
À peine ces paroles furent-elles prononcées,
que les conversations reprirent : le grand cercle se
rompit : les musiciens firent leur apparition ; des
valets entrèrent, portant des tables avec des jeux de cartes et des
dés ; les parties s’organisèrent ; des groupes se mirent
à danser. Henri II contemplait avidement ce spectacle
joyeux.
– Oui, oui ! murmura-t-il, je veux
que l’on rie ! Je veux que l’on joue ! Oh ! cette
ombre éternelle dans le sillage de mes pensées ! Oh !
cette voix qui me crie : Caïn ! Ça ! que fais-tu là,
toi ?
– Tu le vois, mon roi, dit Brusquet qui
s’était accroupi aux pieds d’Henri, je me fais tout petit.
– Sire, murmura Diane, comment remercier
Votre Majesté de cette faveur qui m’enivre de joie et
d’orgueil !…
– En m’aimant bien, ma pauvre
Diane ! fit le roi.
– Ah ! pouffa Brusquet. S’il ne faut
que t’aimer, Henri, pour être pauvre comme Diane, je t’aime, je
t’adore !
Et Brusquet roula des yeux tendres, envoya des
baisers. Le roi, Diane, Catherine, Marie Stuart, Marguerite,
Emmanuel, tous partirent de rire. Seulement, les œillades du
bouffon s’adressaient si évidemment à l’escarcelle du roi que
celui-ci fut obligé de l’entr’ouvrir en disant :
– Allons, maraud, contente cette grande
passion !
Brusquet tira de l’escarcelle une poignée
d’or.
– Messieurs, dit alors le roi,
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