Notre France, sa géographie, son histoire
tels
lieux, un tel peuple pouvait inspirer mieux que ces pâles fictions. Monuments
imposants des vieilles révolutions du globe, ils ne le sont pas moins des
malheurs qui les ont frappés.
Rien, ici, n'affaiblit l'histoire. Les Pyrénées à leur saison,
deviennent mondaines ; c'est un rendez-vous de malades, mais aussi de
plaisirs. Rien ne trouble la solitude des Cévennes, rien n'efface le tragique
souvenir du passé.
La réalité y est fort sérieuse et la nature sévère. Ces monts,
bienfaiteurs de l'humanité, gardent pour eux l'inclémence des éléments. L'été,
brûlant dans les gorges profondes, au fond des vieux cratères, appelle les
orages, la grêle, la foudre ; l'hiver est dur, cruel même, quand les
neiges épaisses couvrent les vallées, effacent entièrement la trace des routes.
Sur les plateaux soufflent les vents furieux 3 . Le blé y fait un effort vertueux, mais
inutile ; il reste grêle et couché.
Cependant, sur ces hautes cimes balayées des ouragans, vivaient les
populations du désert, séparées des mois entiers du reste du monde. Tribus de
pasteurs et de tisserands de mœurs très pures, d'un caractère fort doux dans
leur sauvagerie.
Ce n'était pas la vie inoccupée, ruminante et somnolente de l'homme
d'Auvergne qui passe ses journées d'hiver, couché dans l'étable, en compagnie
de ses bœufs.
Dans les rudes Cévennes, tout le monde est éveillé et tout le monde
travaille. Avant la dispersion, vous auriez vu l'enfant bien sérieux, filer de
ses pauvres petites mains engourdies par le froid, la laine que sa mère avait
cardée, que son père allait prendre pour en tisser les bures, les serges
grossières que la Lozère expédiait en Allemagne, en Italie, dans le Levant.
Sous les neiges, la famille avait de longues veillées pour écouter la Bible.
L'idylle, s'il y en avait, était celle de l'Ancien Testament, dans la
mélancolie de Ruth et la gravité de Tobie.
Il fallut à ces Cévenols dix-huit ans de persécutions ; il
fallut qu'on leur prit leurs enfants en bas âge pour les jeter aux prisons
malsaines, c'est-à-dire à la mort ; il fallut que les Dragons de Villars
montassent jusqu'à leurs déserts, et jetassent leurs maisons en proie aux
torrents, pour les éveiller à des idées de vengeance, les faire descendre dans
la plaine armés de faux, de fourches, comme des loups rôdant autour des villes,
livrant d'atroces combats. Ils avaient perdu la montagne, ils s'emparaient de
la plaine. Mais la plaine devait être leur tombeau.
Les Basses Cévennes, entre le Rhône et l'Hérault, la Lozère et la
mer, ont le plus souffert de cette guerre d'extermination. Là vous retrouverez
le berceau des pasteurs du désert , et le théâtre de la résistance
camisarde.
De roc en roc, de sommets en sommets, par les sentiers pierreux,
croulants, arides, vous pourrez accomplir le rude pèlerinage. Mais il n'est pas
besoin de monter si haut. La plaine, les villes sont aussi jonchées des tombes
des martyrs : Nîmes, Aigues-Mortes, Uzès, Montpellier !... Ceux qui,
vers le soir, aux derniers rayons du soleil, suivront la lumineuse allée du
Peyrou vers la mer et vers le ciel, verront encore leurs âmes sur la via
Sacra .
1 Gard est le nom générique de plusieurs torrents,
comme gave dans les Pyrénées. On dit une gardonade pour une
inondation.
2 Il faut s'associer, ici, aux réclamations
persistantes des bons Français qui demandent aux touristes moutonniers
de ne pas toujours reprendre le chemin de la Suisse, de réserver une portion de
leurs vacances pour nos montagnes de France. Rien de plus beau que certaines
parties des Cévennes dans leur grandeur sauvage. Dans la Lozère, le Causse du Méjan, les Étroits du Tarn, méritent à eux seuls le voyage. Le
torrent, mineur éternel, est déjà descendu, se frayant sa route à travers les
flancs de la montagne, — à cinq cents mètres de profondeur, plus bas que la ria Mala . C'est une œuvre d'art gigantesque, saisissante.
(M me J. M.)
3 Parfois vous faites la montée dans une paix
profonde Tout à coup, au tournant de la route, un pic isolé se dresse, et c'est
l'enfer qui s'ouvre. Le tourbillon vous saisit, vous enserre, vous étourdit de
vertige. Le postillon, prévoyant, a dû se lier fortement à son siège pour
n'être point précipité aux abîmes. J'ai essuyé une de ces tourmentes en entrant
dans la
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