Notre France, sa géographie, son histoire
des plaines insalubres : Albi, Lodève, Agde la noire , à côté de son cratère, et bâtie elle-même de ses laves. Toute
la plage est volcanique, rongée de salines de canaux insalubres, de marais
fiévreux. Montpellier, héritière de feue Maguelone dont les ruines sont à côté,
Montpellier, qui voit à son choix les Pyrénées, les Cévennes, les Alpes même, a
près d'elle et sous elle une terre équivoque, couverte de fleurs, tout
aromatique, et comme profondément médicamentée ; ville de médecine, de
parfums et de vert-de-gris 2 .
C'est une bien vieille terre que ce Languedoc. Vous y trouverez
partout les ruines sous les ruines ; les Camisards de Louis XIV sur les
Albigeois, de Simon de Montfort, les Sarrasins sur les Goths, sous ceux-ci les
Romains, les Ibères. Les murs de Narbonne, qui fut longtemps la capitale des
Sarrasins, sont bâtis de tombeaux, de statues, d'inscriptions. L'amphithéâtre
de Nîmes est percé d'embrasures gothiques, couronné de créneaux sarrasins,
noirci par les flammes de Charles-Martel. Mais ce sont encore les plus vieux
qui ont le plus laissé ; les Romains ont enfoncé la plus profonde
trace ; leur maison carrée, leur triple pont du Gard, leur énorme canal de
Narbonne qui recevait les plus grands vaisseaux.
Ces monuments romains au milieu d'un paysage de cailloux, plutôt
mesquin, y paraissent toujours en étrangers sous un aspect souverain et
grandiose. Les vrais monuments du pays, qui en donneraient le génie sombre,
seraient les forts du moyen âge ; mais on a détruit soigneusement, pendant
les guerres de religion, ces asiles du protestantisme.
Le droit romain est bien une autre ruine, et tout autrement imposante
que le pont du Gard. C'est à lui, aux vieilles franchises qui l'accompagnaient,
que le Languedoc, république sous un comte, a dû de faire exception à la maxime
féodale : Nulle terre sans seigneur. Ici la présomption était toujours
pour la liberté. La féodalité ne put s'y introduire qu'à la faveur de la
croisade, comme auxiliaire de l'Église, comme familière de
l'Inquisition. Simon de Montfort, après sa conquête sur les Albigeois, y
établit quatre cent trente-quatre fiefs. Mais cette colonie féodale, gouvernée
par la Coutume de Paris, n'a fait que préparer l'esprit républicain de la
province à la centralisation monarchique. Les nouveaux possesseurs ne savaient
que faire de ces dépouilles hérétiques et doutaient de les conserver s'ils ne
s'assuraient un puissant protecteur, le roi de France. Tout le Midi, sauf
quelques villes libres, — après la mort de l'usurpateur, — se jeta dans les
bras de Philippe-Auguste.
Pays de liberté politique et de servitude religieuse, plus fanatique
que dévot, le Languedoc a toujours nourri un vigoureux esprit d'opposition. Les
catholiques même y ont eu leur protestantisme sous la forme janséniste.
Aujourd'hui encore, à Alet, on gratte le tombeau de Pavillon, pour en boire la
cendre qui guérit la fièvre. Les Pyrénées ont toujours fourni des hérétiques,
depuis Vigilance et Félix d'Urgel. Le plus obstiné des sceptiques, celui qui a
cru le plus au doute, Bayle, est de Carlat. De Limoux, les Chénier ; de
Carcassonne, Fabre d'Eglantine. Au moins l'on ne refusera pas à cette
population la vivacité et l'énergie. Énergie meurtrière, violence tragique. Un
vent desséchant passe sur ces plaines et tend les nerfs à l'excès. A la moindre
occasion, il y a émeute sans que l'on sache pourquoi. Cette terre passionnée
qui porte la trace de tant de révolutions a été longtemps le vrai mélange des
peuples, la vraie Babel. Le Languedoc, placé au coude du Midi, de la grande
route d'Espagne, de France et d'Italie, présenta au moyen âge une singulière
fusion de sang ibérien, gothique et romain, sarrasin et gothique. Il n'y avait
guère de nobles de Languedoc qui, en remontant un peu, ne rencontrassent dans
leur généalogie, quelque grand'mère sarrasine ou juive.
Ces éléments divers formaient de dures oppositions. Par ce coude qui
semble l'articulation, le nœud de la contrée, il a été souvent froissé dans la
lutte des croyances et des races. Là devait avoir lieu, légitimement, le grand
combat. Quelles croyances ? On pourrait dire toutes. Ceux même qui les
combattirent ne surent rien distinguer et ne trouvèrent d'autres moyens de
désigner ces fils de la confusion
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