Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
avaient donné un nouveau sens à sa
vie, une impulsion immense pour une activité créative. Il avait refusé, tant
que la guerre n’était pas terminée, de publier son travail. Nous allons donc
devoir patienter avant qu’un plus vaste public ne puisse apprécier son rare
talent.
La fausse nécrologie ne fut jamais publiée, mais elle donne
une vision fascinante du niveau d’implication émotionnelle du maître-espion.
Les deux couples ne manquèrent pas d’attirer les regards
lorsqu’ils firent leur entrée dans le théâtre du Prince de Galles, les hommes
portant l’uniforme, les femmes ayant revêtu leur plus belle robe et portant des
chaussures à hauts talons. Montagu tendit les tickets à une ouvreuse.
« Nous étions terriblement agités lorsqu’elle déchira les billets, dit
Jean. Allait-elle remarquer qu’il en manquait deux ? » Elle n’y
manqua pas et fit venir le responsable qui accepta que les contremarques
centrales aient été déchirées « pour faire une blague ».
Les lumières s’éteignirent alors qu’ils prenaient place dans
les sièges capitonnés pour regarder Sid Field dans son nouveau spectacle.
Artiste chevronné, Field avait fait la tournée des music-halls de province pendant
trente ans, chantant, dansant et jouant des sketchs comiques. Il avait
récemment réussi à percer et jouait le rôle de « Slasher Green », un
filou. C’est avec Strike a New Note qu’il fit sa première apparition
dans le West End, avec un groupe de jeunes espoirs du théâtre « issus de
tout le pays », formant une troupe qui s’appelait « George Black et
la génération montante ». Black, impresario de théâtre, est aujourd’hui
aussi obscur que Sid Field, mais certains membres de la génération montante
sont montés très haut. Parmi eux, il y avait deux acteurs inconnus, Eric
Morecambe et Ernie Wise, respectivement âgés de seize et dix-sept ans.
La première de Strike a New Note avait fait l’objet
de critiques dithyrambiques un mois plus tôt : le Times salua Field
comme « une vraie “trouvaille” » ; le Daily Mail applaudit « les rires les plus forts que nous ayons entendus depuis des
années » ; le Daily Telegraph était satisfait de ce que
« toutes ses blagues sont anodines ». En avril, le spectacle faisait
salle comble. Sid dansait, racontait des blagues, jouait des sketches et
chantait :
I’m going to get pickled
when they light up Piccadilly,
I’m going to get pickled like I’ve never been before.
En fait, Sid était déjà bien « bourré » ( pickled ),
car il ne montait jamais sur scène sans « une bonne dose de gin ». Strike
a New Note était un excellent divertissement pour les amateurs de théâtre
qui voulaient échapper quelques instants à la dure réalité. Dans le public, on
trouvait beaucoup de GIs américains, et les satires des relations
anglo-américaines déclenchaient les rires les plus bruyants. La guerre semblait
bien loin, voire hors de propos. Au dos du programme, il était écrit :
« Le public sera prévenu en cas d’alerte aérienne pendant la
représentation. Ceux qui souhaiteront quitter le théâtre pourront le faire,
mais la représentation ne sera pas interrompue. » Le spectacle se
terminait sur le tube de Sid :
When you feel unhappy
And if you’re looking blue
We recommend
Sid Field to you.
Les acteurs eux-mêmes semblaient perplexes face à l’accueil
enthousiaste du public. Jerry Desmonde, le comparse et faire-valoir de Sid
Field, écrivit : « Les rires éclataient comme les vagues d’une mer
déchaînée qui déferlent sur une plage de galets. Et quand ils éclataient, ils
duraient, ils duraient. Ils duraient très longtemps. »
À trois cents miles de là, en pleine mer, le lieutenant
Scott se tenait sur le pont du Seraph et écoutait les vagues se briser,
regardant dans l’obscurité vers les côtes du Portugal. « Il faisait chaud,
enfin, et c’était un vrai plaisir d’être de quart sur le pont, la nuit, sous un
ciel sans nuage. »
Les sous-mariniers développent un sixième sens pour
l’étrange. Les longues périodes passées en immersion, la promiscuité, l’ennui,
quand le plus petit bruit ou la moindre erreur peut signifier la mort,
rendaient les équipages extrêmement sensibles à tout ce qui sortait de
l’ordinaire. Bill Jewell était persuadé qu’il était le seul à bord à être au
courant de la présence du passager clandestin, mais quelques hommes au
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