Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
bombardement serait considéré comme une action de soutien aux
offensives qui allaient se dérouler à l’Est et à l’Ouest de la Méditerranée, et
non comme un prélude à ce qu’elles étaient : un assaut de grande envergure
sur la Sicile. Des dates furent annoncées pour le débarquement imminent, avant
d’être « reportées ». Ces fausses dates étaient choisies de façon à
coïncider avec des périodes sans lune. Ainsi, on espérait que l’ennemi en
déduirait qu’une attaque était surtout à craindre pendant les nuits les plus
noires et qu’il relâche la garde quand la lune était haute.
L’opération Mincemeat n’était qu’un rouage dans la machine
de désinformation, mais il était crucial. S’il échouait, tous les autres
éléments de l’intoxication seraient dévoilés comme autant d’éléments d’une gigantesque
fraude. Les Allemands enverraient alors des renforts en Sicile et verraient les
préparatifs en vue du débarquement en Grèce comme une imposture. Comme Montagu
l’avait signalé dès le départ, « s’ils soupçonnent que les papiers sont
des “faux”, cela aurait des répercussions à une très vaste échelle ». La
responsabilité pesait lourd sur les épaules de Montagu. « Je devrai porter
le chapeau (et j’aurai l’échec sur la conscience) si quoi que ce soit arrivait
au Seraph. »
Il n’y aurait pas de seconde chance. John Godfrey, l’ancien
directeur des services de renseignement de la Navy, avait toujours insisté sur
le fait que la désinformation était un plat qu’il valait mieux servir très
chaud : « Le renseignement, comme la nourriture, devient vite rassis,
fétide, froid, ramolli et indigeste. Quand il a tourné, il fait plus de mal que
de bien. Si vous constatez une quelconque fétidité, n’essayez pas de remettre
le plat au fourneau. Jetez le plat avarié et recommencez. » Si Mincemeat
tournait mal, il faudrait abandonner le plan. Jewell ne se faisait pas
d’illusions : au moindre accroc, l’opération serait annulée, le corps
serait amené à Gibraltar et les documents remis à l’officier d’état-major (des
services secrets) « avec des instructions pour en brûler le contenu sans
l’ouvrir ». Des plans de secours furent aussi établis au cas où les choses
tournaient mal après le largage du corps.
Le 22 avril, un message codé fut envoyé à l’officier
supérieur des services de renseignement à Gibraltar : « Opération
nommée Mincemeat répétez Mincemeat a été lancée… Si un corps est envoyé à
Gibraltar avec des documents dans une mallette avertir immédiatement Robertson
au MI5 et indiquer si les documents ont été manipulés ou non. Si ces documents
arrivent entre vos mains, renvoyez-les avec leurs sceaux intacts par sac
aéropostal direct adressé au colonel Robertson MI5. »
Le soir du 28 avril, le Seraph vira au cap
St-Vincent et se dirigea vers Huelva. Jewell convoqua ses officiers dans le
carré. Les lieutenants Dickie Sutton, John Davis et Ralph Norris étaient assis
autour de la table, aux côtés de Jewell et de son second, David Scott. Prenant
une grande enveloppe dans le coffre-fort, Jewell décrivit l’opération Mincemeat
dans ses grandes lignes. Comme Scott le fit remarquer, il fut choqué en
apprenant le contenu du cylindre. Ce qui sembla le perturber le plus était la
pensée que les « marins avaient dormi à côté, en s’en servant peut-être
même comme d’un oreiller ». Les officiers hochèrent la tête et ne posèrent
pas de questions. Après avoir déposé un général américain génial dans une
partie de la Méditerranée, récupéré un Français grincheux dans une autre, fait
sauter une baleine et être devenu, brièvement, un sous-marin américain, cette
nouvelle mission ne dépareillait pas du reste. Jewell insista sur « le
besoin vital d’un secret absolu ». Les sous-mariniers sont notoirement
superstitieux. Lorsque Jewell était hors de portée de voix, l’un des officiers
remarqua : « Cela ne porte-il pas malheur de promener des
cadavres ? »
Le lendemain, à l’aube, au large de Punta Umbria, Jewell
donna l’ordre de plonger. Pendant les heures suivantes, Scott et lui
effectuèrent « une reconnaissance rapprochée de la plage, s’assurant d’en
connaître tous les éléments caractéristiques ». L’endroit semblait
quasiment désert, avec une poignée seulement de huttes de pêche et quelques
bateaux remontés sur le sable. Cette
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