Par le sang versé
près…
– Détrompez-vous, Mattei, le facteur vénal n’intervient en rien dans leur conduite : le dimanche elles gagneraient tout autant d’argent en demeurant à l’abri dans leur maison close de Cao-Bang. Et elles sont toutes volontaires. Non, voyez-vous, je commence à les connaître et à les estimer. Elles sont poussées par un irrésistible besoin de se rendre utile, c’est en quelque sorte leur manière de faire pénitence.
– Vous êtes bon, l’abbé. Vous savez trouver des explications nobles aux pires choses. À propos, j’ai fait voter la compagnie ce matin pour savoir dans quel ordre les hommes entendaient user de vos offices respectifs. J’ai le plaisir de vous annoncer qu’à une forte majorité, la messe s’est vu octroyer la priorité.
– Ça, pas question, tranche l’aumônier souriant, en prenant le capitaine par le bras. Depuis trois semaines, dans chaque poste, c’est le même tabac. Le premier dimanche, j’ai marché, j’en ai peut-être même – Dieu me pardonne – retiré une certaine fierté, mais j’ai vite compris.
– Je ne vous suis pas.
– C’est pourtant d’une élémentaire simplicité. Nous arrivons ; les hommes dévisagent longuement les prostituées, ils font leur choix selon leurs goûts personnels ; puis ils se rendent à l’office religieux, et à quoi croyez-vous qu’ils pensent ensuite pendant la messe ? »
Mattei éclate de rire.
« L’abbé, vous êtes irrésistible ! J’avoue que votre lucidité est surprenante. Comment êtes vous donc parvenu à réaliser cet état de choses ?
– Hélas ! Pendant la première messe ! Vous n’ignorez pas qu’un prêtre se retourne à plusieurs reprises pendant l’office ; j’ai vu leurs têtes, épargnez-moi de plus amples explications. »
Mattei appelle Klauss :
« Klauss, prévenez les hommes. Changement de programme, ils baisent maintenant, la messe après. »
Dans le courant du mois de juin, alors qu’il se trouve sur le chemin du retour, le Dodge tombe dans une embuscade entre Ban-Lang et Cao-Bang. Les agresseurs ne sont qu’un petit groupe isolé, néanmoins un légionnaire de l’escorte est tué sur le coup avant que les occupants ne puissent évacuer le véhicule et se mettre à l’abri pour organiser la défense. Les femmes réclament des armes. On leur en distribue, elles se battent avec acharnement. L’une d’elles est tuée, deux autres sérieusement blessées. L’aumônier cherche à les réconforter tandis que les survivantes font le coup de feu aux côtés des légionnaires. Une heure durant elles parviennent à repousser les viets avant que de Cao-Bang toute proche, d’où l’on a perçu la fusillade, n’arrive une colonne de secours. Les deux blessées survivront. Le prêtre passe la nuit à leur chevet, il considère qu’il leur doit la vie. Sans leur courage, la puissance défensive du groupe se serait trouvée insuffisante, et ils auraient été submergés et anéantis avant l’arrivée des secours.
Le père Lemaître, compris et approuvé par l’ensemble des officiers du 3 e Étranger, réclame pour les quatre filles une citation et l’attribution de la Croix de Guerre. Mieux que personne l’au mônier imagine le plaisir que procurerait cet honneur aux prostituées qui savent que la demande a été transmise en haut-lieu et qui en attendent fiévreusement la réponse. Hélas ! à Saigon, on refuse. On ne comprend même pas que la Légion ait osé faire une proposition aussi absurde. Les filles regagnent leur maison et, chaque dimanche, elles effectuent de nouveau leur dangereux circuit.
La seule chose que l’aumônier put faire pour elles fut de refuser la citation qu’on lui attribua.
31.
E NTRE Cao-Bang et Bac-Kan, cinq postes de Légion bordent la terrible R. C. 3 : Vo-Chang, Bel-Air, Ban-Cao, Ngan-Son et Phu-Tong-Hoa.
Comme Ban-Cao, ce sont des petites forteresses : murs d’enceinte formés de solides constructions ; angles renforcés par des blockhaus ; effectif d’une centaine de légionnaires sous le commandement de jeunes officiers qui se connaissent de longue date. Mais à l’encontre du nid d’aigle de Mattei, Vo-Chang, Bel-Air, Ngan-Son et Phu-Tong-Hoa sont situés dans la vallée à proximité des villages. Surplombés de massifs montagneux, ils constituent de superbes cibles.
La distance qui sépare les postes varie de dix à vingt kilomètres. Entre eux c’est la jungle montagneuse tenue
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