Par le sang versé
compagnie Palisser. C’est un Suisse-Allemand, il s’appelle Walter Fryer. Sous l’œil de Mattei, il examine la blessure avant de faire une piqûre de morphine et d’annoncer l’évidence :
« Il faut extraire la balle.
– Ça, je m’en doute, commence Mattei. (Il s’interrompt brusquement pour s’adresser à Palisser.) Je te laisse un moment, je vais demander par radio si on peut nous envoyer un toubib. En attendant, repose-toi.
– Allons, mon capitaine, interrompt Palisser, qui sans effort, parle distinctement. Ne me prends pas pour un enfant de Marie ! Tu sais aussi bien que moi qu’il n’y a pas de toubib à cinq cents bornes à la ronde ! Et puis même si, en ce moment, un congrès médical tenait ses assises à Ban-Cao, pas un seul de ses membres n’aurait la moindre chance de parvenir jusqu’à nous. La seule chose qui est en ton pouvoir est-celle que tu as décidée : aller chuchoter derrière la porte avec l’infirmier. Alors, épargne-moi ça, j’aime autant participer au débat. »
Mattei ne cherche pas à nier. Devant le lieutenant, il s’adresse à l’infirmier :
« Tu te sens capable de tenter l’extraction ?
– J’ai jamais fait ça, mon capitaine, répond Fryer, tandis que d’énormes gouttes de sueur se forment sur son front et envahissent ses sourcils.
– Je le sais, je te demande seulement si tu t’en sens capable. »
L’infirmier cherche un faux-fuyant.
« Mon capitaine, il n’a pas de fièvre, et ça fait quatre heures qu’il a été touché. Ça prouve qu’aucun organe essentiel n’a été atteint. Vaudrait peut-être mieux attendre… »
Ignorant l’infirmier, Palisser s’adresse à Mattei :
« Il faut qu’il tente le coup, Antoine. Tu le sais bien, on ne peut espérer aucun secours. Je ne vais pas vivre éternellement avec ce morceau de plomb dans le bide. Au moindre mouvement, il peut me perforer n’importe quoi, et alors, bonjour !
– Palisser, moi je ne peux pas le tenter, je suis maladroit comme une vache, c’est tout juste si j’arrive à bouffer en me servant de mes mains.
– Fryer est habile, lui, il fait des piqûres indolores et confectionne des pansements savants. Vous trouverez tout un matériel chirurgical dans l’armoire derrière vous. Il y a même le mode d’emploi ! Le bouquin militaire sur les premiers soins aux blessés ! Il faut vous démerder avec ça.
– Mon lieutenant, vous n’allez pas m’obliger à faire ça, balbutie Fryer, épouvanté.
– Nom de Dieu, c’est tout de même pas toi qui vas te plaindre ! réplique sèchement le blessé. Va chercher le bouquin et donne-le au capitaine. »
Pendant plus d’une demi-heure, Mattei se plonge dans la lecture de la rubrique Blessures par balles ou éclats dans la région de l’abdomen. Il prend des notes sous le regard attentif et anxieux du lieutenant et de l’infirmier. Enfin, il déclare :
« Voilà. Il faut déchirer la peau et découper le péritoine. Ensuite, il faut surtout éviter de toucher la veine ou l’artère mésentérite supérieure. Si c’est plus bas, l’artère iliaque, et d’une façon plus générale, le duodénum. Je crois que c’est le principal. »
L’énoncé de ces noms scientifiques achève de briser le moral de Fryer.
« Mon capitaine, je ne sais même pas de quoi vous parlez. Comment voulez-vous que je reconnaisse vos veines ou vos artères, machin-chose ? Non, croyez-moi, c’est pas possible. »
Palisser interrompt :
« Il a raison, Antoine, fous-moi ce bouquin en l’air. C’est plus simple que ça, la balle est passée par un chemin et elle se trouve au bout. Il n’a qu’à improviser et essayer de trouver en charcutant le moins possible.
– J’ai rien pour vous endormir, mon lieutenant.
– Dans la chambre, il y a une bouteille de gnôle, va la chercher. »
Fryer se précipite. Palisser fait signe à Mattei :
« Va avec lui, qu’il n’en siffle pas la moitié en route. Il ne manquerait plus qu’il revienne canné. »
De retour au chevet du blessé, Mattei emplit un grand verre d’alcool et le fait boire au lieutenant par petites gorgées. Puis il ingurgite lui-même une rasade à la bouteille. Fryer réclame :
« Donnez-m’en juste une goutte, mon capitaine. »
Les deux officiers échangent un regard.
« Vas-y, déclare Palisser, ça ne lui fera pas de mal, je connais ses capacités. »
L’infirmier boit un demi-verre, puis va se plonger la tête
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