Par le sang versé
par les viets. L’épine formée par la R. C. 3 est d’une telle vulnérabilité, l’insécurité y est si constante et absolue que les chefs de poste ne considèrent plus la route comme un moyen de circulation. Leurs contacts se bornent, désormais, à des échanges radio. Emprunter la R. C. 3 pour se porter un secours mutuel, équivaudrait à un suicide. Et pourtant…
Le 21 juillet, on est en pleine saison des pluies. Ces pluies tonkinoises ne rafraîchissent pas l’atmosphère, elles ne sont qu’un crachin tiède et poisseux, une pourriture humide qui tombe du ciel, et qui imprègne les chemises, se mêlant à la sueur.
De Cao-Bang, les nouvelles sont mauvaises. De violents combats viennent de se dérouler sur la R. C. 4 à hauteur de Dong-Khé. L’antenne chirurgicale de Cao-Bang a été transportée sur les lieux. Osling l’a rejointe, ainsi que tous les médecins, officiels et officieux, du 3 e Étranger.
Dans un rayon de cinquante kilomètres autour de Cao-Bang, il ne reste plus un chirurgien ; seuls quelques infirmiers demeurent au sein des compagnies.
À vingt heures, le lieutenant Palisser, commandant le poste de Ngan-Son, à sept kilomètres au nord de Ban-Cao, appelle le capitaine Mattei : des renseignements irréfutables lui signalent qu’un bataillon viet fait mouvement vers son secteur. Sur un ton des plus naturels, le jeune lieutenant annonce qu’il va tenter une sortie de nuit afin de monter une embuscade. Il pense pouvoir intercepter l’immense force ennemie au col des Vents ; il est sûr de lui porter un coup sévère malgré sa grande infériorité d’effectifs (environ un contre dix). Palisser demande simplement à Mattei de rester en écoute permanente afin de se porter, le cas échéant, en renfort.
Autant par application des règles militaires, que par simple logique, Mattei aurait dû dissuader son subalterne d’une action aussi démesurément téméraire. Il fait exactement le contraire, et répond :
« Palisser, je pars sur-le-champ avec la presque totalité de ma compagnie. Je tâcherai de vous rejoindre à l’aube. »
Évitant la R. C. 3, se frayant un chemin à travers la jungle, la 4 e compagnie marche toute la nuit. Les légionnaires contournent le poste de Ngan-Son que Palisser et ses hommes ont quitté dans la soirée. Ils ne se trouvent plus qu’à une petite heure de marche du col des Vents lorsque leur parviennent les premiers fracas du combat. En principe, cela signifie que Palisser a réussi et que le bataillon viet est tombé dans l’embuscade tendue par la poignée de légionnaires.
Mattei ordonne une marche accélérée. Dès qu’ils arrivent sur les lieux, le capitaine et ses hommes s’aperçoivent que le piège dressé par le lieutenant Palisser a fonctionné au-delà des plus optimistes prévisions. Les légionnaires sont disposés à l’abri et les viets se défendent en pleine panique, dans un désordre et une confusion totale. L’arrivée des renforts achève de briser leur moral. Ils n’ont certainement aucune idée de la faiblesse numé rique de leurs adversaires, ils ne pensent qu’à fuir. Pour une fois, la Légion a pu appliquer la méthode que depuis plus d’un an elle subit.
Le 22 juillet, à huit heures trente du matin, on peut considérer que la réussite de l’opération est totale. Les cadavres des viets jonchent le sol. Les légionnaires ne comptent que trois morts et quelques blessés.
C’est alors que Palisser commet une erreur. Enfiévré par son triomphe, le lieutenant décide de poursuivre les fuyards et se lance à l’assaut, à découvert, en tête de ses hommes. Presque aussitôt il est atteint d’une balle dans l’abdomen et s’écroule. Mattei se porte à son secours. Et tout en ordonnant aux hommes de regagner leurs abris, il transporte lui-même le blessé à couvert.
Les deux colonnes se replient aussitôt sur Ngan-Son sous la direction de Mattei qui en a pris le commandement.
Le 22 juillet, à midi, le lieutenant Palisser est installé dans l’infirmerie du bastion de Ngan-Son ; il n’y a ni chirurgien ni médecin. À première vue, sa blessure ne paraît pas mortelle à condition de parvenir à extraire la balle qui s’est vraisemblablement logée dans ses intestins. Le jeune officier n’a jamais perdu conscience, il ne semble pas trop souffrir, il est calme et optimiste.
Le légionnaire qui possède les notions médicales les plus étendues est le caporal-chef-infirmier de la
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