Par le sang versé
dans un broc d’eau ; ensuite il lave soigneusement ses mains et les tend au capitaine afin de s’y faire répandre de l’alcool. Il transpire toujours autant.
« Je crois qu’il va falloir que je t’attache les mains, annonce Mattei, en prenant les poignets de son ami.
– J’aimerais que tu me tiennes, mon capitaine, j’aime pas qu’on m’attache.
– Il faut que j’essuie le visage de ton « chirurgien » pendant l’opération, il sue comme un porc.
– Va chercher un ou deux gus, ils pourront faire ça. »
Mattei acquiesce, et gagne lentement la porte de l’infirmerie. Palisser le rappelle :
« Antoine…
– Oui ?
– Des gus de chez toi. Si je gueule, j’aime autant, tu comprends ? »
Mattei approuve d’un signe de tête. Quelques secondes plus tard, il revient suivi de Klauss et de Clary, il leur explique ce qu’il attend d’eux. Fryer a disposé les instruments chirurgicaux mais il compte ne se servir que d’un bistouri et d’une longue et fine pince. S’il échoue avec eux rien d’autre ne pourrait l’aider.
Mattei place entre les dents de Palisser un mouchoir propre qu’il pourra serrer. Puis il lui maintient solidement les mains. Le capitaine ne peut pas se retourner, il ne veut pas interroger, mais aux crispations du visage de son compagnon, il comprend que l’opération a commencé.
Le calvaire dure près de cinq minutes. Palisser n’émet pas la moindre plainte, ne pousse pas même un gémissement. Pas un instant il ne perd conscience.
La balle n’était pas loin, mais il est quand même miraculeux que l’infirmier soit parvenu à l’extraire. Enfin, il murmure : « Je l’ai sortie… »
Puis Fryer reprend aussitôt son assurance. De malhabiles et hésitants, ses gestes deviennent rapides et précis. Il saupoudre la plaie d’antibiotiques et pose des points de suture aussi bien que n’importe quel médecin. Mattei lâche les mains du lieutenant, se retourne et les quatre hommes restent un instant fascinés par le bout de plomb sanguinolent que Fryer a déposé dans le bac aux instruments. Derrière eux, Palisser balbutie faiblement : « La balle… »
Mattei comprend. Il prend la balle, la rince à l’alcool et la dépose dans la main du lieutenant. Palisser dit encore, en palpant le bout de plomb entre ses doigts : « Tu me la gardes. » Puis il s’évanouit.
À six heures du soir, Palisser est de nouveau conscient. Mais la fièvre l’a gagné, et les réserves d’antibiotiques du poste sont épuisées. Mattei se tient à ses côtés, impuissant. Brusquement, il se décide :
« Non ! Je ne te laisserai pas crever comme Ickewitz ! Je t’évacue !
– Sois sérieux, Antoine. On ne fera pas deux kilomètres. Les viets sont partout, et pour gagner Cao-Bang il faut parcourir une soixantaine de bornes.
– Je m’en fous ! On crèvera tous ensemble. Si on continue à ne rien faire, à subir sans rien tenter, c’est de toute façon le sort qui nous attend ; alors, un peu plus tôt ou un peu plus tard… c’est le même tabac ! Je te laisse quelques minutes, je vais organiser la promenade. »
Fernandez n’est pas là. Atteint de plusieurs furoncles, il était demeuré à Ban-Cao et n’avait pas participé au commando de la veille. Mattei va rejoindre Clary au foyer.
« Préviens Klauss, et trouve-moi le chauffeur de jeep le plus habile de la compagnie. On va tenter d’évacuer le lieutenant sur Cao-Bang cette nuit. »
Bien qu’il soit conscient de la folie de l’entreprise, Clary n’a même pas un mouvement d’hésitation. Seuls l’intéressent les détails techniques de l’entreprise.
« Bien entendu, on roule sans phares, mon capitaine ?
– Évidemment, on ne va pas non plus faire fonctionner une sirène. Tu pourrais nous faire gagner du temps en évitant de poser des questions idiotes.
– C’est pas tellement idiot, mon capitaine, parce que tous les gus de la compagnie sont capables de conduire une jeep. Ce qu’il faut, c’en est un qui y voie dans le noir.
– Il existe ?
– Oui, Frahm. Il a des chasses de greffier.
– Va me le chercher, et évite de parler argot quand tu t’adresses à moi.
– Comme si vous compreniez pas, mon capitaine ! Je cause peut-être pas distingué, mais je sais de quoi je cause. »
Clary revient, accompagné de Frahm.
« Il paraît que tu as des yeux de chat, des chasses de greffier, comme dit Clary ? interroge Mattei.
–
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