Par le sang versé
contre lui-même qu’il lutte désespérément, il ne peut s’empêcher de penser qu’il est impossible qu’il ne soit pas découvert. Alors pourquoi prolonger son calvaire ? Pourquoi ne pas en finir tout de suite ?
Ce n’est qu’au bout d’une heure que Mattei s’aperçoit qu’il est accroupi sur un nid de fourmis rouges, que ses jambes, ses cuisses et son ventre sont envahis par les insectes géants qui le rongent. Une heure encore se passe avant qu’une nouvelle sensation n’apparaisse. Il la reconnaît, car il en sait les effets : Une bonne vingtaine de sangsues doivent adhérer maintenant à ses membres inférieurs engourdis. Pourtant il n’a pas bougé d’un centimètre, pas fait le moindre mouvement. La pluie et la sueur dégoulinent le long de la carabine. Le canon est toujours dans sa bouche, son pouce sur la détente.
Les fourmis. Les sangsues. Les viets qui continuent leur ronde infernale. Antoine Mattei ne bouge toujours pas. C’est inimaginable, et pourtant le capitaine va rester dans cette position plus de six heures. Après avoir passé la nuit entière à le frôler, les rebelles ne le découvriront pas, et décrocheront à l’aube, lassés, persuadés que l’officier est parvenu à fuir.
À partir du moment où il est-certain que l’ennemi a quitté les lieux, Mattei fournit encore l’effort surhumain de ne pas bouger pendant une demi-heure supplémentaire. Puis il enlève le canon de sa bouche, laisse tomber l’arme à terre, et tente de dégourdir ses membres.
Il se laisse choir sur le côté et détend lentement une jambe après l’autre, il répète le mouvement une centaine de fois en accélérant progressivement. Nerveusement, il a envie de rire car il songe à l’expression : avoir des fourmis dans les jambes. C’est exactement la sensation qu’il éprouve, alors que sur tout son corps les insectes grouillent, agglutinés par grappes.
Le jour est complètement levé. Dès qu’il peut marcher, le capitaine gagne précautionneusement les abords de la route. Le corps déchiqueté de Frahm gît sous les débris de la jeep, mais Palisser a disparu. Mattei ne comprend pas. Les viets ont dû l’emmener.
La pluie a cessé. Ce dont le capitaine le plus besoin, c’est d’allumer une cigarette. Il explore ses poches ; sa boîte d’allumettes est inutilisable, ses cigarettes ne sont plus qu’un bloc compact de tabac humide, il ne lui reste qu’un espoir : le corps de Frahm qui paraît avoir été partiellement protégé de la pluie par le pare-brise de la jeep renversée. Mattei explore les poches du mort. Il conserve les papiers, le portefeuille, la plaque d’identité ; enfin il trouve ce qu’il cherche, un briquet zippo qui fonctionne et un paquet de cigarettes Mic relativement sèches.
Le capitaine fait une autre découverte qui a pour lui une grande importance. Le jerrican d’essence attaché à l’arrière du véhicule n’a pas explosé, il est intact. Mattei s’en empare et s’enfonce dans la jungle, cette fois sur le versant opposé. Il marche une bonne heure, traînant le lourd bidon, puis il trouve un abri dans les rochers. Alors il se déshabille entièrement. Les fourmis tapissent son corps, mais ce sont surtout les sangsues qui le pré occupent. Il en dénombre une vingtaine. Mattei allume une cigarette et commence à brûler une après l’autre les ventouses gonflées de son sang.
Chaque fois, il laisse une cicatrice douloureuse sur ses jambes. Ensuite, il écrase soigneusement la dernière cigarette et commence à déverser sur son corps nu et sur ses vêtements épars sur le sol, l’intégralité des vingt litres d’essence contenus dans le jerrican, créant ainsi un massacre chez les fourmis. Alors le capitaine enfile son pantalon et ses chaussures ; il ne conserve que sa carabine, il abandonne tout le reste, et se met en route à travers la jungle montagneuse.
Le capitaine Mattei a décidé de regagner Ban-Cao par des chemins imprévisibles et vierges. C’est sa seule chance. À vol d’oiseau, il y a une vingtaine de kilomètres à parcourir, il pense qu’il mettra trois jours, peut-être quatre… Mais il sait qu’il doit à tout prix éviter les abords de la R. C. 3…
Dans la nuit, contre toute logique, Klauss et Clary sont parvenus au poste de Vo-Chang à treize kilomètres du lieu de l’embuscade. Klauss se blesse sans gravité en faisant exploser un engin de défense français aux abords du poste.
Contre toute
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