Par le sang versé
question de li vrer Volpi au conseil de guerre, l’une des règles d’or de la Légion est de laver son linge sale en famille. Les sanctions appliquées au sein des bataillons ne sont pas plus douces envers les coupables, souvent même plus sévères, mais ceux-ci sont jugés dans l’esprit Légion, sur une base de moralité différente. Enfreindre cette loi serait grave, et Babonneau en est conscient.
Il lui faut moins d’un quart d’heure pour mettre au point un système de défense et lorsqu’il sort de son bureau à grands pas, le sourire qu’il arbore dénote sa satisfaction.
Il est près de minuit lorsque le lieutenant-colonel ordonne le rassemblement de la compagnie dans la cour du cantonnement. Il faut moins d’un quart d’heure à la centaine d’hommes pour être alignés en tenue sur quatre colonnes au garde-à-vous. Un lieutenant, quatre adjudants et une dizaine de sergents ont réglé la manœuvre.
Avant d’ordonner le repos, le colonel déclare :
« Légionnaires, j’ai besoin de volontaires… »
La compagnie au complet avance d’un pas, respectant ainsi une autre règle sacrée de la Légion étrangère. La coutume veut que l’on interrompe l’officier qui réclame des volontaires avant qu’il expose les raisons de sa requête, soulignant ainsi qu’à la Légion tous sont volontaires pour tout.
« … Merci, repos, déclare Babonneau. Ce que j’ai à vous demander est assez spécial. L’un de vous s’est mis, ce soir dans une situation qui ressort du conseil de guerre. Je ne peux pas le couvrir, car il est identifiable par un cocard qu’il a reçu à l’œil droit. Et demain matin la police va venir passer une inspection de la compagnie à laquelle il m’est impossible de m’opposer.
– Compris, mon colonel, coupe le lieutenant. Exécution par groupes de dix. Sans que ça dégénère, vous vous balancez mutuellement un gnon sur l’œil droit. »
Les hommes prennent l’ordre avec bonne humeur. La perspective de recevoir un coup est largement compensée par le fait qu’ils vont avoir à en donner un.
Le lendemain, devant le colonel X et la prévôté médusés, Babonneau feint la surprise avec une parfaite mauvaise foi, laissant entendre que l’initiative de cette mascarade incombe sûrement au coupable.
« Que voulez-vous, déclare-t-il au colonel X, à la Légion les hommes se soutiennent, mais comptez sur moi pour poursuivre l’enquête. »
Le colonel X reconnaît pourtant formellement Volpi, déclenchant ainsi la seconde phase de l’opération.
« Volpi ! dit Babonneau en riant, vous ne pouvez que faire erreur. C’est la folle du régiment ! La seule vue d’une femme lui fait horreur. D’ailleurs, il est en prison depuis vingt-quatre heures. Je n’ai pas vérifié le motif, mais c’est sûrement encore une histoire d’homosexuels. »
S’apercevant tout à coup qu’il va être la risée du contingent tout entier si l’affaire s’ébruite, le colonel X tourne les talons sans saluer. Babonneau n’en entendra jamais plus parler. Quant à Volpi, il restera six semaines en prison après s’être fait menacer, comme chaque fois, de castration à la prochaine incartade.
Le colonel Babonneau ne devait pas demeurer longtemps en Indochine : peu après cet incident, il était rapatrié à la suite d’une blessure qui, malgré sa gravité, ne figure pas dans ses états de service.
Après une soirée particulièrement houleuse passée en compagnie de ses hommes, le lieutenant-colonel Babonneau fit le pari de rattraper en jeep la « rafale » – le train rapide Saigon-Hanoï – et de franchir avant lui le passage à niveau (ouvert en permanence) du poste de Kan-Hoa, distant d’une vingtaine de kilomètres.
Il y réussit presque. Hélas ! l’arrière de la jeep fut happé par le train, et le véhicule projeté à dix mètres avec ses quatre occupants qui se retrouvèrent à l’hôpital de Saigon. La carrière du lieutenant-colonel Babonneau prenait fin.
Pour la Légion, elle, la guerre, allait pourtant bientôt commencer.
4.
L E 18 novembre 1946, le 3 e Étranger est regroupé à Saigon en vue de son prochain embarquement pour le Tonkin. Dans toute la Cochinchine les légionnaires plient bagage sans espoir de retour. Une fois de plus les souvenirs sont entassés à la hâte. On fait le ménage à fond avant de quitter les lieux ; cela fait partie de l’orgueil de la Légion. La plupart des hommes ont des
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