Par le sang versé
liaisons avec des congaïs ; les adieux sont souvent déchirants, accompagnés de promesses qui ne dupent personne. Même les gradés ignorent leur destination, mais cela ne les préoccupe pas. Ils ne savent pas non plus grand-chose de la nature des combats dans lesquels ils seront engagés. Cela aussi les laisse indifférents.
Les 3 e , 4 e , 5 e et 6 e compagnies du 1 er bataillon embarquent le 20 novembre à Saigon à bord du croiseur auxiliaire Jules-Verne. Ils apprennent quelques heures plus tard que leur destination est Haïphong.
Le troisième et dernier jour de la traversée est un calvaire pour les légionnaires. Le Jules-Verne a pénétré à l’aube dans le golfe du Tonkin. La mer est démontée et le croiseur roule et tangue. Un fort vent arrière rabat la fumée vers le pont sur lequel les hommes sont affalés comme des loques. Vers dix-huit heures le croiseur double le cap de Doson, et la mer s’apaise – véritable lac à l’embouchure de la rivière Câ Cân qui conduit au port d’Haïphong.
Il faut moins d’une heure aux légionnaires pour récupérer et lorsque vers vingt heures le Jules-Verne pénètre dans le port, les hommes attentifs, silencieux et stupéfaits, découvrent la ville dévastée, les foyers d’incendie encore nombreux, les ruines, les cendres du grand centre industriel tonkinois.
Depuis près d’un an on se bat dans Haïphong. Au début de 1946, la ville fut envahie par les troupes chinoises qui pillèrent et ravagèrent le Tonkin. À cette époque, Tchang Kaï Chek avait résolu d’exterminer le Viet-minh, et, malgré sa répugnance, Ho Chi Minh fut contraint de faire appel au Corps expéditionnaire français.
Au printemps de 1946, en accord avec le Viet-minh, la division Leclerc, appuyée par l’artillerie de marine, débarquait à Haïphong et chassait les Chinois au cours de sanglants combats qui achevèrent la destruction de la ville.
Les quelques mois qui suivirent furent plus calmes, mais l’étrange situation créée par la coexistence des troupes viets et françaises se détériorait de jour en jour. Au milieu de l’automne, devant la pression croissante du Viet-minh sur les postes français, le Corps expéditionnaire passait à l’attaque dans Haïphong, se rendant maître de ce qui restait de la ville. Le 21 novembre la Légion étrangère débarquait en renfort.
Sur le quai, Klauss, Bianchini, Favrier et Lantz rassemblent les hommes de la 4 e compagnie. Le lieutenant Mattei n’est pas à leur tête ; il a été hospitalisé à Saigon, victime d’un type d’attentat qui, à l’époque, coûtait la vie à de nombreux officiers français : il a absorbé une soupe chinoise assaisonnée de fibres de bambou – empoisonnement aussi facile qu’indétectable, destiné à perforer l’estomac.
En l’absence de Mattei, le sergent-chef Klauss apprend qu’il reste seul responsable de la 4 e compagnie et qu’une patrouille de la division Leclerc va le conduire sur les hauteurs de la ville où se trouve son cantonnement provisoire.
Les légionnaires de la 4 e compagnie se mettent en route à travers les rues dévastées. Une odeur âcre et pestilentielle s’élève des charniers. Des centaines de morts n’ont pas trouvé de sépultures et pourrissent, déchiquetés par les chiens affamés ou les rats.
La compagnie Klauss est affectée dans un quartier en partie épargné, en bordure de la ville, à proximité de la route du terrain d’aviation de Catby. Les légionnaires pénètrent étonnés dans une vaste et fastueuse habitation. C’est la copie d’un palais chinois qui reflète bien tout l’insolite de la situation à Haïphong. Les meubles sont intacts et précieux, d’immenses tapis recouvrent le sol, sur les murs des glaces géantes renvoient leur image. Le premier étage est aussi luxueux : une enfilade de chambres et de salles de bain, de marbre et de laque, dans lesquelles il ne manque que l’eau.
Les hommes s’installent au rez-de-chaussée, dépliant leurs lits ; au premier, les quatre gradés tirent les chambres à la courte paille.
Le lendemain, l’euphorie de ce premier contact a fait place à une certaine inquiétude. Combien de temps va durer cette situation inattendue ? Quelle est leur mission ? Où se trouve le danger et jusqu’à quel point faut-il se tenir sur ses gardes ? Le temps seul apportera une réponse aux légionnaires qui verront plusieurs jours passer sans incidents.
Les viets sont partout, mais
Weitere Kostenlose Bücher