Par le sang versé
établi sa jonction avec le B. E. P. Dong-Khé n’est pas tombé, mais c’est une question d’heures.
« Dans ce cas, réplique Charton, que Lepage vienne m’attendre au kilomètre 22, au-delà de Nam-Nang, et non au kilomètre 28 comme il est prévu. Je vais être encombré de quinze cents civils, des malades, des blessés, des femmes enceintes, des enfants. »
Pour cela encore, c’est non ! La jonction se fera au kilomètre 28. On se demande ce que peut bien redouter Charton le baroudeur. Comment peut-il penser que les viets commettraient la folie de s’attaquer à une force aussi considérable que ce rassemblement du 3 e Étranger du B. E. P. et d’un régiment de Tirailleurs marocains ?
Le 2 octobre à midi, Charton commence à faire sauter la ville. Avec un mélange d’amertume et d’excitation, les légionnaires incendient, anéantissent, saccagent, pillent, gonflent leurs sacs de tout ce qui peut_ se manger ou se boire.
Les civils sont prévenus. Ceux qui veulent suivre la Légion ne seront pas abandonnés. Les autres peuvent rester et attendre l’armée du Viet-minh. Personne n’opte pour la seconde solution et un invraisemblable troupeau humain se présente aux portes de la ville. Tous cherchent à confectionner les plus invraisemblables moyens de transport pour tenter de sauver les étranges bric-à-brac qui constituent leurs seules richesses.
À minuit, encadré par la troupe, l’interminable rassemblement s’ébranle, tandis que jusqu’à l’aube, en présence du colonel, une compagnie entière achève la destruction, faisant exploser les mines qui avaient été disposées.
Enfin, ne laissant derrière eux que ruines et cendres, les derniers légionnaires quittent Cao-Bang.
Il ne pleut pas. Mais le ciel est bas, l’intervention éventuelle de l’aviation est donc impossible. Il ne reste qu’à marcher et à attendre le miracle, le rendez-vous sauveur du kilomètre 28.
La première journée se passe sans incidents ; au crépuscule les éléments de tête ont parcouru seize kilomètres, mais la masse humaine s’étend sur plus de trois. Charton ordonne une halte pour la nuit. Lentement, il longe en jeep le vulnérable ruban que forme sur la route ce gigantesque caravansérail. Le moral de tous est excellent. Aucun des civils ne se plaint. Ils ont une confiance absolue en leur escorte. L’ordre et la discipline des légionnaires, le calme des hommes, l’assurance des officiers dégagent une étonnante impression de puissance.
Il est vraisemblable que les deux hommes les plus inquiets, sont Charton et son adjoint le commandant Forget. D’autant que Forget, commandant le 3 e bataillon, est handicapé par une blessure récente, il marche avec difficulté.
Charton reste toute la nuit à portée de son poste-radio. Il cherche en vain un contact avec la colonne Lepage qui ne devrait se trouver qu’à douze kilomètres devant eux. Pas de réponse. Charton redoute le pire. Vers trois heures du matin, sa radio parvient à capter Lang-Son, mais l’échange est presque inaudible. Il en filtre néanmoins quelques paroles rassurantes : pour Lepage tout va très bien ; il sera sans aucun doute au ren dez-vous du kilomètre 28 ; s’il ne répond pas c’est qu’il n’est pas à l’écoute ; il n’y a pas lieu de s’inquiéter.
Un instant Charton se demande s’il ne traverse pas une crise de défaitisme provoquée par l’évacuation de sa forteresse, et si, finalement, tout ne va pas se passer comme prévu. Comme il le souhaite, le brave colonel Charton, qui prie Dieu pour tous ces civils qui font preuve envers lui d’une confiance aveugle !
À l’arrière, une section a reçu l’ordre du commandant Forget, de fermer la marche. C’est la section « balai ». Elle a pour mission de ramasser tout ce qui traîne. Quoi qu’il arrive, ces six légionnaires doivent demeurer les derniers sur la route. Cette section – séparée du bataillon par la horde désordonnée des civils – ne possède comme tout contact avec ses chefs qu’un émetteur-récepteur d’une portée maximum de cinq kilomètres. Pour ce travail ingrat et périlleux, Forget a choisi des hommes sûrs, des hommes de fer. Le sergent Eric Kress assume le commandement. C’est un Allemand solide et froid, le caporal-chef Chris Snolaerts, Hongrois, est chargé des transmissions. Les deux gradés sont secondés par Anton Zavriew, Tchécoslovaque, Hugo Maggioli, Italien, Felipe Castera Espagnol et
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